Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gallicanisme, où elle ne fut qu’un accident et une inconséquence. Dans l’église, ils ne réclament guère qu’en faveur des évêques, comme si l’ordre des prêtres et la masse des laïques ne comptaient pas. Leur opposition d’ailleurs s’enveloppe de ménagemens infinis ; ils semblent demander grâce pour la vérité et la justice. Nous savons qu’un rôle si humble n’est pas encore sans danger, ni par conséquent sans honneur ; mais il n’atteint pas au succès. Ce n’est pas ainsi que l’ancienne école de Paris résistait aux abus, et maintenait dans ses bornes légitimes l’autorité du pape.

Quoi qu’il en soit, les symptômes d’une renaissance gallicane, si timidement qu’ils se produisent au sein du clergé, nous montrent l’ultramontanisme menacé dans ses derniers retranchemens. Vaincu dans l’ordre civil, comment prétendrait-il à triompher dans l’ordre religieux ? Qui peut conserver un doute sur l’issue de la dernière lutte qu’il a provoquée ? Les laïques en masse sont gallicans, même à leur insu. Le dernier des paysans français est gallican. Qu’un ultramontain (ce qui s’est vu) arrive au ministère, il est obligé de professer officiellement les principes de 89, principes mille fois anathématisés, avant et depuis 89, par la cour de Rome. Voilà donc tout un ordre de l’église qui a définitivement répudié la théocratie. Cela suffit pour que les doctrines ultramontaines ne puissent se prévaloir du consentement de l’église, lequel, d’après l’Evangile et la tradition, rend seul les jugemens de foi irréformables.

Ce n’est pas que nous méconnaissions les périls que contient pour la religion et pour la patrie le succès même le plus éphémère du parti ultramontain. L’abîme se creuse chaque jour entre le peuple et un clergé qui reçoit une éducation anti-nationale. Non-seulement la plupart de nos docteurs, de nos évêques, archevêques et cardinaux professent ouvertement l’infaillibilité du pape, mais ils en avouent les plus menaçantes conséquences. On ne trouverait pas dans les séminaires un seul traité de théologie et de droit canon où la réelle indépendance du pouvoir civil soit franchement reconnue. Récemment, dans un acte public, un archevêque traitait de concubinage légal le mariage civil. Le concordat n’a point su créer un clergé pénétré de sa mission nouvelle. Un gouvernement éclairé pouvait tirer un grand parti du droit de choisir les évêques. Jamais on n’a porté dans ces choix aucune vue d’ensemble. Le clergé secondaire n’a été affranchi ni en 1830 ni en 1848 ; on lui a tout refusé, même l’augmentation du nombre des cures inamovibles, mesure très simple et cependant d’une haute portée, qu’on peut appliquer sans toucher au concordat[1]. L’ultramontanisme a profité de nos fautes ;

  1. « Les cures sont au nombre de 3,301 inamovibles, et de 27,451 succursales dont les desservans sont révocables à volonté. Avant 1789, c’était tout le contraire : il y avait 36,000 cures dont les titres étaient inamovibles, et seulement 2,500 annexes dont les desservans étaient révocables. » Dupin, Manuel du droit public ecclésiastique français.