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l’église constitutionnelle appliquait parmi nous le pur gallicanisme, le doyen de l’église protestante de Berne écrivait à l’évêque Grégoire, âme de la réforme catholique : « C’est notre culte, ce n’est pas notre croyance, ce n’est surtout pas notre morale qui diffère. Si du sein de votre église il sort encore quelques apôtres tels que vous, il est impossible que le moment soit éloigné où vous verrez revenir les protestans sous les bannières de la religion catholique. Qu’est-ce qui a occasionné cette scission ? N’étaient-ce pas quelques abus trop peu voilés ? Le remède que vous portez à ces abus sera en même temps le moyen le plus infaillible de notre réunion[1]. » Ce serait aussi le moyen de ramener à l’unité l’Orient, si jaloux de l’indépendance de ses antiques églises. Jamais il ne subira l’ultramontanisme, qu’on peut accuser de tendre au schisme, puisqu’il l’entretient.

La position de Leibnitz et des protestans éclairés par rapport à la religion catholique n’est-elle pas celle des penseurs sincèrement spiritualistes de notre époque, celle des libéraux et des démocrates qui comprennent que sans le principe religieux il n’est point de progrès social ? Si le gallicanisme l’emportait à Rome, demain ils seraient tous catholiques ; mais qu’on n’espère point d’entamer le protestantisme ni le rationalisme, tant que la théocratie ultramontaine fera du centre de la chrétienté la citadelle de l’absolutisme en Europe.

Le nom de la France est attaché à la révolution générale du monde, qui s’appelle la révolution française ; il l’est non moins glorieusement au gallicanisme, qui la prépara, et qui en reste la partie religieuse. Notre pays, par le grand Descartes, enfanta encore la science moderne, libre, forte, profondément chrétienne. Nous nous confions au génie de la France : elle ne laissera point l’œuvre inachevée ; elle continuera de se montrer la fille aînée de l’église et la fille aînée de la civilisation. Ne semble-t-elle pas prédestinée, par son histoire entière, à réconcilier enfin ces deux grandes forces, la foi et la liberté, qui s’unissent dans la logique des idées et des faits et ne s’excluent que dans les faux systèmes des hommes ? Alors s’arrêtera la dissolution sociale, l’humanité sera soulagée du poids mortel de son angoisse. L’église, reposant sur ses anciennes bases, redevenue l’asile du savoir et des vertus, cimentera les conquêtes de l’esprit humain par la majesté de la consécration religieuse. Ainsi sanctifiée et affermie ; la révolution française méritera de s’appeler la révolution chrétienne, et les antiques maximes gallicanes auront reçu leur dernier accomplissement.


F. HUET.

  1. Histoire des Sectes religieuses, l. X, ch. 7.