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un mot qui peignait la lâcheté des âmes et l’asservissement encore flagrant de l’idée chrétienne.

L’église a traversé bien des épreuves, elle a été maintes fois persécutée, maintes fois compromise, trahie ou souillée par d’indignes ministres ; je ne sais cependant si jamais elle a vu de plus près le précipice où Dieu lui a promis qu’elle ne tombera jamais ; je ne sais si jamais elle a enduré un sort plus triste que sous cette longue série de monarques qui se croyaient ses bienfaiteurs, ses protecteurs, et qui lui refusaient à la fois la liberté, la paix et l’honneur.

Si telles étaient les misères de l’église, encore si jeune et si proche de son sanglant berceau, que devaient être celles de l’état, de la société laïque ? Le paganisme était tout entier debout, ainsi que l’a démontré l’un des plus excellens historiens de notre siècle : « La société civile semblait chrétienne comme la société religieuse ; les souverains, les peuples avaient en immense majorité embrassé le christianisme ; mais au fond la société civile était païenne ; elle tenait du paganisme ses institutions, ses lois, ses mœurs. C’était la société que ce paganisme avait faite, et nullement celle du christianisme[1]. »

Et ce paganisme, qu’on ne l’oublie pas, c’est le paganisme dans sa forme la plus dégénérée. On en était encore au point où la politique des hommes d’état consistait, selon Tacite, à supporter des empereurs quelconques.[2] Toute la grandeur romaine n’avait abouti, selon la forte expression de Montesquieu, qu’à assouvir le bonheur de cinq ou six monstres. Après Constantin, les souverains valent mieux que ces monstres ; mais les institutions valent de moins en moins. Cent vingt millions d’hommes n’ont encore pour tout droit que celui d’appartenir à un seul homme, au maître de rencontre qu’un caprice de l’armée ou une intrigue de cour appelle à l’empire. Le despotisme en vieillissant devient à la fois plus faible et plus vexatoire. Il pèse sur tous et ne protège personne. Depuis la conversion de Constantin comme avant lui, chaque règne resserre la trame de cette fiscalité savante qui finit par ruiner le travail et la propriété dans le monde romain. À l’aide de la jurisprudence, elle érige l’empereur, comme représentant unique du peuple souverain, en propriétaire suprême de tous les biens de l’empire. L’impôt vient absorber ce que la délation et la confiscation n’ont pas encore épuisé dans le patrimoine des hommes libres. Le propriétaire, le citoyen n’est plus qu’un débiteur public, et on le traite avec toute

  1. Guizot, Histoire de la Civilisation en France, 2e leçon. Il ajoute : « La chrétienne ne s’est développée que plus tard, après l’invasion des Barbares ; elle appartient à l’histoire moderne. »
  2. « Bonos imperatores volo expetere, qualescmuque tolerare. » Histor. IV,