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« Leur pudeur, dit-il aussi, purifie la terre encore souillée des débauches romaines. » Paul Orose, disciple de saint Augustin, les compare à Alexandre et aux Romains du temps de la république, et il ajoute : « les Germains bouleversent maintenant la terre, mais si (ce qu’à Dieu ne plaise) ils finissaient par en devenir maîtres et la gouverner selon leurs mœurs, peut-être un jour la postérité saluera-t-elle du titre de grands rois ceux en qui nous ne savons voir que des ennemis. »

N’exagérons rien pourtant et ne devançons pas la vérité. Ces grandes conquêtes de l’avenir n’existaient qu’en germe au sein de la fermentation de ces masses confuses et bouillonnantes. Au premier aspect, c’est la cruauté, la violence, l’amour du sang et de la dévastation qui semble les animer, et comme chez tous les sauvages, les explosions de la nature brutale s’allient aux raffinemens de la ruse. Ces hommes indomptés, qui savaient si bien revendiquer la dignité humaine contre leurs souverains, la respectaient si peu, qu’ils égorgeaient des populations entières comme par jeu. Ces guerriers qui s’agenouillaient autour de leurs prophétesses, et qui reconnaissaient quelque chose de sacré dans la femme[1], faisaient trop souvent de leurs captives les jouets de leur luxure ou de leur cruauté[2], et leurs rois du moins pratiquaient la polygamie.

Mis en présence du christianisme, leur attitude fut incertaine, leur adhésion équivoque et tardive. S’il y eut de bonne heure des chrétiens parmi les Goths ; si, dès les premiers jours de la paix de l’église, des évêques germains parurent dans les conciles (à Arles, à Nicée, à Sardique) ; si, au sac de Rome, en 410, Alaric fit respecter les églises, les vases sacrés et les femmes chrétiennes ; si la barbarie tout entière, personnifiée dans ses deux plus formidables chefs, sembla s’arrêter devant saint Léon, qui put seul contenir Genséric et faire reculer Attila, il n’en est pas moins vrai que ces deux siècles d’invasion au sein du monde chrétien n’avaient pas suffi pour identifier les vainqueurs avec la religion des vaincus. Les Saxons, les Francs, les Gépides, les Alains, restaient idolâtres, et, chose plus cruelle mille fois, à mesure que ces peuples devenaient chrétiens, ils tombaient en proie à une misérable hérésie. La vérité ne leur servait que de pont pour passer d’un abîme à un autre. Un moment comprimé par Théodose dans l’empire, l’arianisme alla séduire et dominer les futurs vainqueurs de l’empire. Les Visigoths, les Ostrogoths, les Hérules, les Bourguignons, se firent ariens. Euric et les Suèves en Espagne, Genséric et les Vandales en Afrique, immolèrent des milliers de

  1. « Inesse quinetiam sanctum aliquid… » Tacite, De Mor. Germ.
  2. Voir entre autres exemples le supplice infligé aux trois cents filles franques données en otages aux Thuringiens.