Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le chef du cabinet lui-même, et n’ont voulu être en rapport qu’avec le roi. Le colonel de Manteuffel trouve son oncle, le président du conseil, trop occidental ; M. d’Usedom trouve le chef du cabinet trop russe. Cela ne prouve-t-il pas la singulière position que s’est faite M. de Manteuffel au milieu de toutes les influences qui se débattent à Berlin ? Ainsi se poursuit cette politique plus remplie de caprices que de fixité. Ainsi marche ce roi à demi théologien, à demi lettré, inclinant naturellement vers toutes les résolutions généreuses, l’homme le plus spirituel et le plus séduisant de son royaume, mais qui éprouve une invincible répugnance à se décider, et qui subit sans s’en douter l’empire d’un entourage tout entier dévoué à la Russie. Faute de pouvoir l’entraîner dans une alliance avec le tsar, l’entourage de Frédéric-Guillaume compte encore peut-être le retenir dans la neutralité peu glorieuse où il est resté jusqu’ici.

C’est la Gazette de la Croix, on ne l’Ignore pas, qui est dans la presse l’organe de cette coterie, moins prussienne à coup sûr que moscovite. Or la Gazette de la Croix est entrée dans une fureur sans égale, lorsque la Revue a eu l’idée l’autre jour, non certes de dévoiler les mystères de la cour de Berlin, mais d’initier le public de l’Europe à quelques vérités connues de ceux qui sont en position de savoir. La Gazette de la Croix, qui parait mieux au courant des choses de la Russie que des choses de la France, et qui parle de nos hommes et de notre littérature avec un tact par trop tudesque, semble même être restée convaincue qu’elle avait infligé à la Revue une rude leçon, qui la réduirait pour longtemps au silence. La Revue n’a point sans doute à consulter la Gazette de la Croix ; elle consulte la convenance d’un grand intérêt public qu’elle prétend servir. Elle reprendra ses libres peintures quand il le faudra. Elle parlera surtout, si les tristes conseils du parti de la croix venaient à prévaloir à Berlin. Elle parlera également, si, comme il faut le croire, le roi Frédéric-Guillaume, cédant à ses inclinations naturelles, entre dans l’alliance où ses intérêts l’appellent, où l’Europe l’attend, et cette fois ce sera pour montrer quels obstacles il a eu à vaincre autour de lui, quels liens il a eu a secouer. Les renseignemens ne nous manqueront pas pour peindre au naturel le parti russe de Berlin, — le plus grand ennemi du roi pour le moment.

Que ressort-il de ces élémens complexes de la situation de l’Europe à l’heure où nous sommes, à l’heure où va expirer cette année 1854 ? Malheureusement il n’y a guère d’illusions à se faire : la paix serait possible sans doute ; elle n’est pas probable. Il serait assez hasardeux de l’augurer des duplicités, des réticences, des habiletés de la Russie, et encore plus des levées nouvelles qui viennent de coïncider avec la signature du traité du 2 décembre. La vérité est que tout semble s’ordonner pour la guerre bien plus que pour la paix ; mais si la Russie laisse échapper l’occasion actuelle, elle risque de voir chaque jour s’accroître le faisceau des forces qui lui sont opposées. La Prusse elle-même ne pourra manquer de suivre le mouvement universel. Les neutralités deviendront des hostilités. Dans le Danemark, il est douteux que la politique russe ressaisisse de sitôt son ascendant. La Suède reste calme, non indifférente pourtant, et on raconte un mot singulier, qui ne serait pas fort ancien, qui aurait été adressé à un ministre de Suède. Celui-ci, interrogé sur