Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cher était un soldat éprouvé et fidèle de ces vieilles idées libérales et conservatrices qui ont toujours leur place. Comment pourraient-elles disparaître, puisqu’elles sont l’essence de la civilisation moderne, l’aliment des intelligences, le regret ou le désir de toutes les âmes viriles, la raison secrète de tout le développement de notre temps ?

Les hommes restent souvent en route, ils s’en vont parfois avant l’âge et disparaissent avec les années ; les idées survivent en se transformant ; quand elles ne règnent plus souverainement dans les faits, elles se réfugient dans les esprits ; l’intelligence s’en empare pour les passer de nouveau au creuset de l’expérience et de l’étude, pour rechercher par quelles causes elles ont été impuissantes dans leurs diverses réalisations, par quelles voies elles peuvent retrouver leur efficacité et leur ascendant. Dans cette enquête poursuivie à la lumière des catastrophes, c’est une société tout entière qui reparaît avec ses élémens de toute sorte, avec ses instincts généreux et ses déviations, avec ses oscillations et ses défaillances. Ce tableau véridique et sincère de la société moderne, il se trouve retracé avec éloquence, avec le meilleur désir d’arriver à une conclusion juste et sûre, dans ce livre que publie aujourd’hui M. de Carné, dans ces remarquables Études sur l’Histoire du gouvernement représentatif en France de 1789 à 1848 ; — de 1789 à 1848 ou plutôt à 1854, c’est-à-dire plus de soixante années d’histoire, plus de soixante années d’agitations, durant lesquelles tout s’est produit et rien n’a duré ! Est-ce à dire que, dans cette succession de régimes, la France change périodiquement de nature et d’idéal ? Non sans doute, elle a toujours les mêmes goûts, les mêmes instincts, les mêmes préférences ; seulement elle n’est point parvenue à trouver ces conditions simples et fortes propres à la garantir des surprises et des piéges sans cesse tendus à son activité périlleuse. Que les organisations violentes et factices ne durent pas, rien n’est plus simple. Que les établissemens qui semblaient réunir toutes les conditions de modération, de sécurité et de souplesse aient disparu avec la même facilité, c’est là l’éternel problème des esprits qui n’aiment point à se laisser emporter par les événemens sans se demander d’où ils viennent et où ils vont. Il y a peu de jours, à l’Institut, M. Guizot, rappelant un mot de M. Royer-Collard, disait que les sciences morales et politiques avaient toujours leur place dans le gouvernement des hommes, ne fût-ce que pour aider à savoir ce qu’on dit quand on parle et ce qu’on fait quand on agit. La première de ces sciences, la première maîtresse de la vie humaine, c’est l’expérience, c’est l’histoire. Appliquée à ces soixante années qui sont derrière nous, l’histoire montre justement le point où chaque tentative dégénère, où la fureur des partis et des systèmes l’emporte sur la vérité.

C’est sous cette inspiration que M. de Carné trace ces pages dont la plupart ont déjà vu le jour ici. Comment la révolution de 1789 est devenue la révolution de 1792 et de 1793 pour tomber dans la dissolution du directoire, comment les fortes et glorieuses institutions du consulat ont abouti à l’empire et à la subversion de l’Europe ; comment la restauration s’est usée dans la lutte entre des tendances impossibles et le mouvement invincible de la société moderne ; comment enfin la bourgeoisie, arrivée au pouvoir, a vu la victoire échapper de ses mains, lorsqu’elle croyait avoir trouvé le dernier mot de la révolution française : telle est la trame substantielle de ces Études.