Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a un système fort commode quand il s’agit d’un événement comme la révolution française : il consiste à tout rejeter sur une certaine fatalité mystérieuse. Si la révolution s’est faite spoliatrice et meurtrière dans sa première époque, si l’empire a poussé au-delà de toute mesure le système de la compression intérieure et de la conquête universelle, si la restauration est allée se jeter contre l’écueil de juillet, et si la révolution de 1830, à son tour, a trouvé l’écueil de 1848, c’est la fatalité qui a conduit les événemens ! Il n’y a d’autre fatalité que la passion et l’aveuglement des hommes, et c’est ce que M. de Carné fait voir avec une lumineuse sagacité, en montrant à chaque période, à côté des conséquences devenues inévitables, les fautes et les erreurs qui les ont engendrées. La politique ainsi n’est plus une sorte de champ de bataille où la force aveugle domine seule. C’est la loi morale qui s’accomplit, qui attache un châtiment à toutes les déviations, et fait sortir les catastrophes les moins prévues de l’oubli, de l’imprévoyance ou de la coupable connivence des hommes. C’est là certes la leçon la plus éloquente de l’histoire contemporaine. Nous ne saurions dire qu’elle n’ait coûté un peu cher ; mais l’expérience serait encore utile, si elle servait à réveiller dans toutes les âmes l’instinct vigoureux de la responsabilité, qui est la première condition de la liberté, si elle contribuait à ranimer ce sentiment chez ceux qui agissent et chez ceux qui pensent, comme la lumière secrète de leurs actes et de leurs inspirations.

Après tout, il y aura toujours dans l’esprit de la France un goût naturel et invincible pour ce genre d’études et de recherches morales ou politiques, dut-on ne pas se souvenir exactement dans l’occasion de conformer les actes et les paroles aux théories. La philosophie et l’histoire mettront en lumière ces vérités supérieures, qui ont toujours leur opportunité, et qui n’eurent jamais plus d’à-propos que de notre temps. C’est l’élément sérieux, instructif, du développement intellectuel de notre pays. Tournez cependant les feuilles de ce livre de la littérature contemporaine où tant d’œuvres élevées sont inscrites et peuvent s’inscrire encore : combien de pages restent ouvertes à l’invention féconde, à l’imagination gracieuse ou énergique, à l’analyse ingénieuse ou éloquente, à la fiction juste et vraie ! A travers des incertitudes qui tiennent moins peut-être à l’absence de talent qu’à l’absence d’un but, d’une régle, d’un lien commun, le mouvement littéraire n’en suit pas moins son cours. La poésie balbutie dans une langue qui n’a plus l’originalité d’autrefois et qui n’a pas encore trouvé son originalité nouvelle. Le roman se multiplie sous toutes les formes ; les livres de voyages, les peintures de mœurs se succèdent. M. Paul de Molènes recueille ses récits, fruits d’une imagination vigoureuse. M. Paul de Musset rassemble ses souvenirs d’un voyage en Italie, et ces souvenirs forment un livre plein d’attrait. Ainsi s’offre la vie littéraire sous ses aspects divers, lui donnant à son livre le litre d’Histoires sentimentales et militaires, M. de Molènes lui a certainement donné le nom qui pouvait le mieux lui convenir. N’est-ce point en effet ce mélange de sentiment et de liberté militaire qui fait le charme saisissant de ces récits ? M. de Molènes a trouvé en Afrique le sujet de la plupart de ces contes, dont le type est celui des Solitudes de Sidi-Pontrailles. Il recueille aujourd’hui des impressions nouvelles en Orient. Chose étrange en effet : tandis que se publiaient ici les Histoires sentimentales et militaires, l’auteur conduisait ses spahis sur le champ de ba-