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après la révolution de février, il publiait dans la Revue une première étude sur l’organisation du travail. Réélu membre de l’assemblée constituante, il y figurait aux premiers rangs parmi les défenseurs de l’ordre ; il prit part à toutes les batailles de cette terrible époque, et quand l’élection du 10 décembre 1848 eut substitué aux pouvoirs sortis de la révolution un nom issu de la souveraineté populaire, il fit partie, d’abord comme ministre des travaux publics et ensuite comme ministre de l’intérieur, du premier cabinet du nouveau président. La France et l’Europe se souviennent encore de l’énergie qu’il y apporta.

Ses ennemis, ses amis même, lui ont souvent reproché des manières brusques, un abord froid et hautain. Sa qualité principale était une volonté inflexible que ne pouvaient ébranler ni craintes ni influences ; on peut bien lui pardonner quelque raideur de formes en considération de ce don si rare et si précieux dans les temps difficiles. Outre les combats de la rue et de l’assemblée qu’il soutint sans faiblir, il osa ce que personne peut-être n’aurait osé à ce point, la réforme complète de l’administration intérieure. La révolution de février avait fait ce que font toutes les révolutions, ce qui en est malheureusement chez nous le principal mobile : elle avait expulsé tous les fonctionnaires de la monarchie pour en mettre d’autres à la place. À son tour, il examina avec soin les titres des nouveaux et des anciens, et, convaincu que de bons administrateurs ne s’improvisent pas, il rappela à leur poste la plupart des préfets et des sous-préfets révoqués par la république.

Cette vigoureuse restauration, qui devait soulever contre lui tant d’animosités, accomplie sous le feu des attaques les plus furieuses, au milieu de dangers toujours renaissans, est d’autant plus digne d’hommages qu’il avait dû lui-même, pour rendre ainsi justice aux services passés, faire trêve à ses anciens griefs d’homme d’opposition. Rien ne pouvait frapper plus au cœur les triomphateurs de février ; rien ne pouvait manifester, par un symbole plus visible, le retour à un ordre régulier et la réparation des injustices commises contre l’ancien gouvernement. Chacun de nous se souvient de ces séances qui ressemblaient plus à une mêlée qu’à un débat, et où les paroles se croisaient comme des épées ; il y tint tête à tous les orages. Il couronna son mémorable ministère par cet ensemble de mesures hardies, prises avec le concours du général Changarnier, qui contraignirent moralement l’assemblée constituante à se retirer, malgré sa mauvaise volonté bien constatée, et il eut l’honneur de conduire la France, avec une administration réorganisée et l’ascendant de l’autorité partout rétabli, aux élections de 1849.

On sait comment l’assemblée expirante se vengea du courageux ministre. Une dépêche émanée de son cabinet pour resserrer l’union des bons citoyens dans les élections fut dénoncée par l’extrême gauche comme une intervention coupable, et la majorité elle-même l’abandonna. Ainsi vont toujours les choses dans notre oublieux et ingrat pays. Quand le danger presse, on est bien forcé de se ranger autour des hommes de cœur ; quand il est passé, l’esprit de dénigrement prend bien vite sa revanche. « Que voulez-vous ? disait ici même la chronique du 15 mai 1849, M. Léon Faucher savait les services qu’il rendait ; il mesurait l’idée qu’il avait de lui-même aux difficultés qu’il savait avoir surmontées, aux périls qu’il savait avoir vaincus ; est-ce un