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couler à flots les eaux de la citerne ; lorsque le ruisseau courait avec un léger murmure dans les rigoles qu’il creusait de ses mains, Dindigal croyait entendre les plantes, les arbres, les fruits et les fleurs qui chuchottaient et le remerciaient à leur manière du bien qu’il leur causait.

Le résultat de ces travaux n’échappait point aux habitans du voisinage. Ceux qui voyaient au matin l’enclos arrosé, le terrain nettoyé et remué par la bêche, ne cherchaient point à pénétrer ce mystère ; encore moins songeaient-ils, comme on l’eût fait chez nous, à surprendre en pleine nuit l’invisible jardinier ; ils trouvaient plus facile et il convenait mieux à leur imagination de croire à un prodige. Le bruit se répandit donc qu’un génie bienfaisant, ami du cossever et de sa fille, prenait soin de leur demeure pendant qu’ils accomplissaient un vœu en lointain pays. L’un prétendait que ce génie avait la forme d’un serpent, et qu’il demeurait, durant le jour, au fond de la citerne ; l’autre affirmait que c’était tout simplement le petit cheval d’argile peint en rouge que l’on voyait se balancer sur la cime du plus haut cocotier. N’était-il pas naturel que le plus efficace de ces fétiches se trouvât entre les mains du cossever et de sa fille, qui les fabriquaient si bien ?

Ainsi la rumeur publique transformait en un être surnaturel le Makoua, le misérable pêcheur qui inspirait du mépris aux maîtres de cet enclos, et ne se faisait pas même bien voir de ses propres compagnons. Dès que le jour paraissait, dès qu’il reprenait ses travaux sur la plage, Dindigal perdait la sérénité et la quiétude de son esprit. Pareil au somnambule que l’on a troublé dans ses occupations nocturnes, il se rappelait à peine ce qu’il avait fait la nuit ; seulement il lui en restait un souvenir confus qui l’oppressait comme la pensée d’un bonheur évanoui. Il songeait alors avec amertume au joyau qu’il accusait son frère d’avoir caché pour ne pas le partager avec lui. Jamais depuis leur séparation il ne s’était approché de la cabane du pêcheur ; il se contentait de la surveiller de loin, se promettant bien de saisir l’instant où Bettalou, enrichi par la vente du diamant précieux, trahirait sa nouvelle condition en changeant de manière de vivre : alors il s’acharnerait à sa poursuite et le tourmenterait jusqu’à ce qu’il eût obtenu justice.

D’un autre côté, Bettalou, animé contre son frère, qu’il soupçonnait un peu de lui avoir enlevé son trésor, et irrité de ses propos blessans, ne chercha point à lui parler pendant quelques semaines, puis il s’ennuya de ne plus le voir ; au reste, il n’avait pas lieu de regretter son éloignement. Depuis le départ de Dindigal, un jeune pêcheur de ses parens, — tous les Makouas sont cousins, — le secondait très activement dans ses travaux. La pêche allait à merveille, et le petit catimaron procurait d’honnêtes bénéfices à Bettalou. Le laborieux