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— Écoute, lui cria son compagnon, qui cherchait à le retenir, le vieux a promis cent roupies… Il ne faut pas le laisser partir : s’il ne s’en souvenait plus, à présent qu’il a sa fille ?

— Tu les retrouveras ce soir, répliqua Dindigal ; où veux-tu qu’ils aillent, dans l’état où ils sont ?

— Le vieux a l’air d’avoir la tête tournée, c’est vrai ; il ne peut pas encore se tenir sur les jambes… Écoute donc, Dindigal, la petite portait un bel assortiment de bijoux, que lui as-tu enlevé ? Un bracelet ? un pendant d’oreille ?…

— Rien, répondit le Makoua ; cherche plutôt dans ma ceinture.

— Maladroit ! ce n’est pas le temps qui t’a manqué ; mais bah ! tu n’es qu’un pêcheur de poisson, et tu ne sais pas donner le tour de main entre deux eaux.

L’accident arrivé à la sschellingue avait attiré du monde sur la plage. Un marchand, ami du cossever, recueillit chez lui le vieillard ainsi que sa fille ; Palaça ne tarda pas à se remettre de ses émotions, et la tranquillité rentra dans le cœur de son père. Celui-ci envoya immédiatement au capitaine du port les cent roupies promises par lui, pour être partagées entre les deux rameurs du catimaron. L’état de la mer, grossie par le vent du large, ne permettant point aux pêcheurs de se livrer à leurs travaux habituels, Bettalou alla se réunir aux groupes de bateliers qui causaient, accroupis sur le sable, le dos appuyé contre les schellingues halées au sec. Il apprit ce que venait de faire Dindigal ; l’affection qu’il portait encore à son frère s’éveillant plus vivement en lui, l’occasion lui sembla bonne de tenter une réconciliation. Il se disait qu’une belle action hardiment accomplie devait disposer le cœur de Dindigal à des sentimens plus doux. Celui-ci se tenait cependant à l’écart, les bras croisés, la tête basse, assis sur une borne, au coin d’une ruelle obscure, dans l’attitude d’un homme désespéré.

— Mon frère, lui dit Bettalou en lui tendant la main, tu as eu du bonheur aujourd’hui !…

— Laisse-moi tranquille, répliqua Dindigal ; que me veux-tu ?

— Je m’ennuie de ne plus te voir ; ce qui est passé est passé, et je n’y pense plus. Voyons, donne-moi ta main !

Dindigal se laissa prendre la main, plutôt qu’il ne la donna à son frère. — Lève donc la tête, reprit celui-ci, regarde-moi en face. Est-ce que tu te trouves mieux de vivre au milieu de gens qui ne sont rien pour toi et qui ne t’aiment pas ?

— Personne ne m’aime, je le sais bien, répliqua Dindigal. Ah ! si tu m’avais donné ma part du diamant !…

— Est-ce que je l’ai gardé pour moi ? dit Bettalou ; y a-t-il quelque chose de changé dans ma condition ? ai-je quitté ma cabane et mon travail de chaque jour ? Ce joyau a disparu comme un rêve, et,