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à leur véhicule, ils se heurtaient un peu rudement les coudes et les épaules.

— Enfin nous sommes à terre, et avant une heure nous revenons notre toit, disait le cossever ; dès demain, je me remets au travail.

— Et mes pauvres fleurs, répondait Palaça ; comme le soleil les aura flétries ! J’ai hâte de les revoir.

— Les fleurs meurent et renaissent dans une semaine ; mais il me faudra plus de temps que cela pour regagner ce que j’ai dépensé ce matin. Nous aurions mieux fait de revenir par terre comme nous étions allés… J’ai eu bien peur pour toi, Palaça !… Avoue qu’il a été bien leste à te repêcher, ce Makoua ! Bah ! ces gens-là sont plutôt des poissons que des hommes !…

Palaça ne répondait rien ; de temps à autre, elle allongeait la tête, cherchant à apercevoir la cime de ses cocotiers. Couvert de sueur, Dindigal courait sur les pierres du chemin, évitant de se montrer encore à la jeune fille. Le cocher malabar, le front ceint du turban de mousseline, le corps enveloppé d’une longue tunique blanche, jetait des regards dédaigneux sur le Makoua, et semblait prendre plaisir à le voir disparaître dans les tourbillons de poussière. Quand le chariot fut près d’arriver, Dindigal força le pas de manière à être rendu le premier. Il déposa son fardeau sur le seuil de la porte, et s’appuya le long de la muraille les bras croisés. En sautant à terre, Palaça l’aperçut ; un cri d’effroi lui échappa, et elle saisit le bras de son père.

— Ah ! dit le cossever, je savais bien que la joie du retour te causerait une vive émotion. Tiens, tiens, comme tout est frais ici ! On dirait que nous sommes partis d’hier.

Palaça fit un pas vers le jardin ; elle ouvrait ses grands yeux, foulait timidement le sol rafraîchi par les irrigations, et regardait avec une secrète terreur le jardin tant aimé, qu’une main inconnue avait soigné en son absence. Elle eût été moins troublée de le retrouver envahi par les herbes parasites et bridé par le soleil. Il y avait là un mystère qui l’inquiétait.

— Tu le vois, dit le cossever, les dieux veillent sur ceux qui vont en pèlerinage… Eh ! mais j’oubliais de payer le porteur qui attend là-bas. Holà, viens ici, Makoua !

Dindigal s’approcha, et porta les mains à son front.

— Que me voulez-vous ? demanda-t-il.

— Te payer ta course, mon garçon.

— Gardez votre argent, dit le Makoua ; les cinquante roupies que vous m’avez données ce matin, je vous les rends. — Et il les jeta aux pieds du vieillard.

— Vois donc, Palaça, toi qui as de meilleurs yeux que moi, dit le cossever en se tournant vers sa fille, ce doit être le fou que nous avons trouvé ici une fois déjà.