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a été, jusque dans le dernier siècle, aristocratiquement gouvernée. Cependant peu à peu les classes moyennes ont pénétré dans ce même gouvernement et y ont fait prévaloir leur esprit et leurs intérêts ; puis le tour des grandes masses est venu. Il est temps que leur condition monte au premier rang des préoccupations de la politique ; il est temps que la politique leur permette, à elles aussi, de ne pas laisser aux autres tout le soin de leur destinée. En ce sens, l’ère démocratique est arrivée. M. Greg va jusque-là. Oui, la démocratie coule à plein bords, et lui aussi, il n’est pas loin d’en rendre grâces au ciel[1]. Ici toutefois nous demanderons à intervenir.

M. Greg accorde que jusqu’à nos jours le gouvernement de son pays a été aristocratique. S’il veut dire que l’élément aristocratique y joue un rôle des plus importans, qu’il existe dans la constitution anglaise une noblesse investie d’un privilège politique héréditaire, et que, soit par son pouvoir direct, soit par son influence, elle a été pour beaucoup dans tout ce qui s’est passé depuis deux ou trois siècles, si même il entend encore qu’en arrière de cette noblesse il y a une gentilhommerie de campagne, une classe d’anciens propriétaires fonciers qui, sans privilèges légaux, par la seule puissance de l’habitude, par la permanence de leurs goûts, de leurs mœurs, de leur considération, de leur fortune, ont joui d’un crédit local et durable, et qui, entrant dans l’administration et le gouvernement, y ont introduit un élément conservateur aussi stable, plus stable peut-être que l’aristocratie proprement dite, — tout cela est vrai. Je demande seulement à poser ces deux restrictions : l’Angleterre n’a pas été gouvernée uniquement par l’aristocratie ; elle n’a pas été en général gouvernée dans un intérêt aristocratique.

Tout le monde sait que cette aristocratie n’a depuis longtemps plus rien de féodal. Elle est dénuée de tout droit sur les personnes, de toute immunité à l’égard de l’état. La loi est pour tous et contre tous. Point de caste exclusive ni par le droit ni par le fait, et la noblesse, c’est-à-dire la pairie, devient un privilège de naissance, mais n’est pas donnée à la seule naissance. D’abord ce qu’on appelle la profession, ce que nous appellerions en France la magistrature, est un de ses moyens de recrutement, et la magistrature, qui représente essentiellement la science et l’autorité de la loi écrite, n’est pas un élément aristocratique, quoique conservateur : ce serait plutôt un élément monarchique. L’épiscopat, lié à la pairie, est un rang auquel la littérature sacrée ouvre l’accès autant que la position de famille. Les noms de Whately, de Thirtwall, de Hampden, sont là pour en témoigner. Tout le monde sait que les grands services, même les

  1. M. Royer-Collard.