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grands succès dans les carrières lucratives, obtiennent la couronne de lord, et quant au mérite politique, il est à peu près assuré, lorsqu’il le veut bien, de monter d’une chambre à l’autre, si c’est là monter. Cette aristocratie ainsi ouverte, qui se compose moins de familles que de chefs de famille, est exemptée par là de quelques-uns des préjugés d’une noblesse de convention ; elle exerce publiquement les fonctions de la magistrature constitutionnelle. Or la publicité donne au gouvernement conscience de la nation, à la nation conscience de son gouvernement. De là une certaine intelligence, une sorte de solidarité entre l’aristocratie, et le peuple. Celle-là du moins est amenée à ne point agir pour son propre compte, à ne point parler en son propre nom ; elle est ou elle veut paraître une représentation choisie et permanente de la société. Le milieu dans lequel elle se meut, les institutions qui l’entourent, la concurrence d’une assemblée élective, la préservent de toute tendance à dégénérer en oligarchie : elle est heureusement condamnée à se nationaliser sans cesse. D’ailleurs, quelque haute influence qu’elle ait exercée, il y a plus d’un siècle que le principe de vie et d’action n’est pas dans la chambre haute. Ce sont en général des commoners qui ont en eux-mêmes personnifié la puissance publique. On se rappelle le mot que Walpole, forcé par sa chute à se réfugier dans la pairie, adressait à son ancien adversaire Pulteney, réduit comme lui au même asile : « Nous voilà donc les plus pauvres diables du royaume ! » Quand, douze ans après, le duc de Newcastle devint le chef du cabinet ; « Je suis curieux, écrivait Horace Walpole, de voir un pair premier ministre. » Et lorsqu’à son second ministère le premier Pitt eut l’étrange fantaisie d’échanger son nom contre celui de comte de Chatham, lord Chesterfield disait : « Après la formation de son ministère, ce qui m’étonne le plus, c’est sa pairie ; le voilà retiré dans un hospice ! » Quels que fussent les rapports qui liaient la chambre des communes à l’aristocratie, elle était par situation, par intérêt, par ambition, si ce n’était par un sentiment plus involontaire, par une conviction désintéressée, forcée à se conduire tout au moins comme si elle était la représentation nationale.

Aussi ne voyons-nous pas que le gouvernement anglais ait été généralement dirigé dans le sens aristocratique. Admettons que l’aristocratie whig ait fait la révolution de 1688 ; on conviendra que la nation en masse n’aurait pas fait mieux. La guerre de la succession fut soutenue, surtout prolongée, non par la propriété territoriale, mais par le commerce, par le moneyd interest, qui se trouva d’accord avec les combinaisons de Godolphin et de Marlborough. Il était assurément de l’intérêt populaire, et même démocratique, que la maison de Hanovre occupât le trône de préférence aux Stuarts. Après l’avènement