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des États-Unis se serait également fait attendre, et les fatales rivalités de Fox et de Pitt auraient également affaibli l’état et divisé le public. On ne prouve pas enfin que depuis un siècle il ait été, en matière importante, fait par le gouvernement violence à la nation.

Voici, je le sais, l’objection : c’est la conduite de l’Angleterre pendant les vingt-cinq ans de guerre contre la France. Il est vrai, la révolution française a eu le triste privilège de bouleverser le bien comme le mal, — moins elle encore que l’esprit révolutionnaire. Quant à l’esprit révolutionnaire, excité par ses victoires, prétend les pousser au-delà de toute justice et de toute nécessité, quand il franchit toute digue et semble vouloir éterniser son empire, tout se trouble et s’ébranle. Le jacobinisme est coutumier de ces tours funestes : il intimide, il déconcerte, il éteint le libéralisme ; il ressuscite jusqu’aux passions, jusqu’aux préjugés, qu’il jure d’abolir. Il remet debout ses ennemis, et rend la parole à tout ce qu’il a fait taire. C’est le plus énergique artisan de contre-révolution.

Ainsi l’aspect de la France révolutionnaire releva en Angleterre des forces et des opinions qui semblaient en déclin. Tous les préjugés ensemble, ceux de George III, ceux de la haute église, ceux du jacobitisme récemment converti, le torisme de cour et le torisme campagnard, formèrent une coalition que servirent des hommes plus éclairés et plus habiles, animés d’un meilleur esprit de conservation, mais forcés par les circonstances de ne pas choisir leurs instrumens. Il s’organisa pendant la guerre un parti de réaction et de défense auquel la déclamation entraînante de Burke donna le ton du fanatisme. On tendit à l’excès tous les ressorts de la constitution, tous ceux de l’esprit public et du patriotisme, dans le sens d’une résistance absolue, non-seulement, à la France, mais à ses principes, comme si bon nombre de ces principes n’eussent pas été ceux de l’Angleterre. Quoique le parti qui prévalut alors ait fait d’assez grandes choses, quoiqu’il ait eu un ministre comme Pitt et un général comme Wellington, je ne puis, tout sentiment patriotique à part, et même au point de vue de l’Angleterre, l’absoudre de tous les reproches que mérite ordinairement une politique ultra-conservatrice. La passion, l’exagération, l’injustice, la violence, et par-dessus le marché l’imprévoyance, l’affectation et l’hypocrisie se mêlèrent tristement aux grandes qualités de vigueur et de persévérance que firent éclater le gouvernement et la nation. Il y eut sans doute des raisons pour agir comme on agit : une certaine résistance au dedans était nécessaire, la guerre était dans une certaine mesure inévitable, la résistance et la guerre voulaient de l’énergie ; mais on força la dose, et les justes limites furent dépassées. À la paix, le parti qui avait, en le dominant quelquefois, secondé le gouvernement dans ces rudes épreuves,