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qu’il se montre dans l’occasion, il a l’esprit positif et pratique. Le bien qu’on lui promet doit, pour l’attirer, être réel, et pour devenir réel, possible. Il résiste donc aux assurances indéfinies de la spéculation hypothétique, aux déductions illimitées de la dialectique pure, et de même que le but du socialisme choque son respect pour lui-même et son amour du passé, la manière socialiste de raisonner ne convient ni à son goût ni à sa raison. J’ai lu quelque part que c’était le plus sensé et le moins logique des peuples. C’est bien dit. Avec cela, il n’y a pas plus dans ses idées que dans ses sentimens, pas plus dans son intelligence que dans son caractère, l’étoile d’un peuple violemment novateur et vaguement révolutionnaire.

La question est donc transportée du terrain des révolutions sur celui des réformes. Ici, nous disons comme M. Greg, si l’on n’avait rien fait et si l’on ne voulait rien faire, il y aurait danger. Du moins montrerait-on aussi peu de prévoyance que de justice. La politique peut ici, sans cesser d’être pratique, recourir à toutes les lumières de la philosophie, à toutes les ressources de la science, pour déterminer ce que réclame d’elle l’état nouveau des sociétés humaines.

Si l’on avait l’idée de pousser l’innovation jusqu’où la porte l’esprit de système, on rencontrerait un autre obstacle dont le socialisme fait abstraction volontiers : c’est la liberté. Une réformation radicale et improvisée en vertu d’une théorie préconçue ne peut guère s’opérer que par le procédé dictatorial. Or est-il besoin de dire que ce procédé répugne à toute nation familiarisée avec le self governement ? Il y a des sols où cette plante de l’absolutisme individuel ou collectif ne germe pas aisément. Puis, si pour effectuer à volonté des métamorphoses sociales, il faut le despotisme comme moyen, le despotisme est encore le but de ces métamorphoses même. L’utopie démocratique procède en général de l’idée exagérée des fâcheuses conséquences de l’inégalité que la nature, la fortune et le mouvement nécessaire de la société laissent subsister parmi les hommes. De ce qu’il y a, non pas seulement des grands et des petits, mais des forts et des faibles, ou seulement des riches et des pauvres, on conclut que là où la libre concurrence est le régime de l’activité humaine, de telles souffrances et de telles iniquités se produisent nécessairement, qu’elles ne peuvent être supprimées que par la suppression de cette libre concurrence elle-même. L’homme, nous dit-on, livré à ses forces, abandonné sur sa foi au milieu de la société, n’a pas assez de lumière, de raison, de courage, de vertu et de savoir-faire pour lutter avec avantage contre les suites inévitables de l’inégalité. Il faut quelqu’un qui lutte pour lui, qui s’interpose entre ces combattans déchaînés dans l’enceinte de la cité comme des gladiateurs dans une arène. Il faut que quelqu’un ail de la prévoyance pour tous ces incapables