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distinguée par des négations seulement du reste de la société, et ne s’élevant au-dessus des autres classes que par l’interdiction qu’elle s’impose de partager leurs travaux. Vivre honorablement, si cela veut dire vivre hors des affaires, du barreau, du commerce, de l’industrie, et même des fonctions civiles de la société, serait une expression inintelligible pour un Anglais. On sait que, réduits à une simple légitime, les cadets de familles nobles ne regardent comme indigne d’eux aucune des carrières ouvertes au reste de la société. Les titres auxquels on attache d’ailleurs un si grand prix le conservent surtout parce qu’ils ne peuvent être usurpés ni se multiplier indéfiniment, au gré de la fécondité des mariages et du grand nombre des branches ; ils sont en droit inséparables de la pairie, et si la courtoisie les étend un peu au-delà, cette faveur expire bientôt, puisque les neveux d’un duc et les frères d’un comte n’ont aucun titre. Le second fils et le frère du comte de Chatham s’appelaient M. Pitt, et les petits-fils du duc de Bedford, s’ils n’ont pas son fils aîné pour père, s’appelleront, tant qu’il y en aura. M. Russell. Cette circonstance rejette sans cesse dans la société des enfans de familles titrées qui n’auraient eu que des prétentions au moins inutiles, si une large part de la seigneurie et de la fortune leur eût permis une oisiveté dédaigneuse. On peut entendre le petit-fils d’un lord au barreau et voir le frère d’un pair assis dans le bureau d’une maison de banque. C’est ainsi, et grâce au droit de primogéniture, qu’il y a en Angleterre une aristocratie et point de noblesse de convention. Le droit de primogéniture agit à quelques égards comme une institution d’égalité.

Dans un essai très étendu, M. Greg a discuté les effets économiques du droit d’aînesse, en traitant cette question : — Est-il bon que les paysans soient propriétaires de terres ? — Après un examen semé d’aperçus justes, de vues pleines de sagacité, de curieux renseignemens, sa conclusion est sévère contre la division de la propriété. Il réussit assurément à montrer qu’en Angleterre le système opposé, moins opposé pourtant qu’il ne le dit[1], — a présenté de réels avantages, et surtout n’est point accompagné de tous les inconvéniens que nous sommes en France portés à lui attribuer. En revanche, si le temps le permettait, nous chercherions à lui persuader que le système français peut être défendu, et qu’il est innocent d’une partie des maux qu’il lui impute. Il faudrait, d’abord bien distinguer la division du sol en parcelles - qui peuvent être considérées comme autant de propriétés - de la distribution de ces parcelles entre les individus,

  1. On peut voir sur ce point deux ouvrages excellens, les lettres de M. Auguste de Staël et la série de M. de Lavergne, L’Economie rurale en Angleterre, insérée dans la Revue.