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ans, il avait mis dans le péril le plus imminent les intérêts et presque l’existence de la Grande-Bretagne ; ce n’était qu’à l’aide des plus prodigieux efforts et des plus énormes sacrifices qu’elle avait échappé à ce péril. Il n’en fallait pas tant pour faire de l’empereur des Français, aux yeux de tous les Anglais, le plus odieux et le plus exécrable des tyrans, pour leur persuader que son règne n’avait été qu’un long brigandage, que ses adhérens eux-mêmes n’étaient que des malfaiteurs indignes de pitié, et qu’en laissant la vie à de tels misérables, on faisait acte de clémence ! On a vu à d’autres époques, dans des circonstances bien moins graves, bien moins irritantes, à quelles violences d’actes ou de paroles le patriotisme de nos voisins peut se laisser emporter contre les princes et les gouvernemens qui, même après avoir été longtemps leurs alliés, se sont permis de contrarier tant soit peu leur politique. Ces violences, on peut le croire, n’étaient rien auprès de celles de 1815. La génération actuelle à peine à comprendre d’aussi furieux ressentimens, une telle férocité de langage. Je n’en citerai qu’un exemple que je trouve rapporté dans le livre même de M. Forsyth.

Après la bataille de Waterloo, le maréchal Brune, qui commandait en Provence pour Napoléon, se rendant compte apparemment des dangers trop réels dont il était menacé et pensant à sortir de France, avait fait demander un passeport à lord Exmouth, qui bloquait la côte avec une escadre anglaise. Voici la réponse de lord Exmouth, traduite aussi littéralement que possible : « Puisqu’il parait que c’est la mode en France de permettre à cette bande de coquins de maréchaux de quitter tranquillement le pays, je ne m’opposerai pas à ce que le prince des drôles, le maréchal Brune, se rende sous pavillon blanc à Tunis. Quant à l’envoyer dans un pays chrétien, je ne pense pas que personne s’en arroge le pouvoir, car il n’est pas un pays ayant conservé son bon sens qui puisse vouloir recueillir de tels garnemens. » Si Brune a connu seulement la substance de cette réponse, et si elle a pu contribuer à lui faire prendre la route d’Avignon, où il devait trouver peu de jours après une mort affreuse, il faut croire, pour l’honneur de l’humanité, que lord Exmouth aura éprouvé quelques remords.

Je me suis étendu un peu longuement sur cette disposition générale des esprits, parce que c’est un des élémens nécessaires de l’appréciation du traitement que Napoléon eut à subir à Sainte-Hélène, parce que les torts qu’on eut envers lui ne seraient pas seulement dignes de blâme, mais incompréhensibles, si l’on ne tenait compte de l’atmosphère politique où l’on vivait alors. J’arrive à l’exposé des faits.

Le premier des torts dont je viens de parler, celui peut-être qui a entraîné les conséquences les plus graves, parce qu’elles se reproduisaient