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Placé ainsi, pendant les dernières années de la guerre, dans une position plus élevée, où ses facultés purent se déployer tout entières, et qui lui permit de prendre une part directe, bien que secondaire, à des événemens décisifs, sir Hudson Lowe n’y puisa pourtant pas ce sens politique, cette largeur de vues que l’expérience et le spectacle des grandes affaires donnent aux hommes capables d’en comprendre la portée. Le hasard le rapprocha alors plus particulièrement de cet état-major prussien, en qui tant d’héroïsme et de patriotisme se mêlait à une haine si aveuglément furieuse contre Napoléon et contre la France. On peut supposer qu’un tel milieu exerça une influence fâcheuse sur l’esprit du gouverneur futur de Sainte-Hélène. Doué d’un caractère honnête et consciencieux, d’un esprit intelligent et généralement judicieux, mais étroit, défiant et susceptible de préventions, sir Hudson Lowe ne déguisait pas, à beaucoup près, ses imperfections par l’agrément de ses manières. Tous ceux qui l’ont connu, ceux mêmes qui le jugent avec le plus de bienveillance, s’accordent à dire que sa physionomie, son abord, son langage, avaient une froideur, une sécheresse disgracieuse, qui, de l’aveu de M. Forsyth, eussent dû le faire exclure de la mission difficile et délicate pour laquelle il fut désigné. Cette mission, il était certes bien loin de s’y attendre, lorsque le 1er août 1815 il reçut à Marseille, où il commandait les forces anglaises, la nouvelle du choix qu’on avait fait de lui. Il partit immédiatement pour Londres, où il devait recevoir ses instructions. Pour lui donner plus d’autorité, on le fit lieutenant-général, commandeur de l’ordre du Bain, et on lui promit de la part du premier ministre, lord Liverpool, que s’il gardait seulement trois ans les fonctions dont il allait prendre possession, la bienveillance du gouvernement ne s’arrêterait pas là. Ce n’était pas trop sans doute de ces faveurs, de ces promesses et du traitement considérable qui lui fut assigné, pour lui faire accepter avec résignation la destination lointaine et compromettante à laquelle il se voyait ainsi condamné. Il se ménagea lui-même une consolation et une ressource plus efficace contre les ennuis de cet exil en se mariant avant de quitter l’Angleterre.

Parti de Portsmouth le 29 janvier 1816, c’est seulement le 14 avril qu’il arriva à Sainte-Hélène, où Napoléon l’avait précédé de six mois. Il y avait été conduit par le contre-amiral sir George Cockburn, commandant de la station navale du Cap, qui, comme je l’ai dit, exerça provisoirement jusqu’à l’arrivée de sir Hudson Lowe les fonctions de gouverneur de l’île. Napoléon et la plupart des historiens de sa captivité ont affecté de faire l’éloge du contre-amiral comme pour mieux accabler son successeur, en rejetant exclusivement sur ce dernier la responsabilité des tristes querelles qui éclatèrent presque aussitôt après son arrivée. À les en croire, sir George Cockburn avait