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que jamais, et il pourrait encore ébranler les fondemens de l’Europe. Les regards de la nation se portent sur le jeune Napoléon. » Cette lettre se terminait par l’expression des inquiétudes qu’inspirait au général prussien la probabilité de la prochaine évacuation de la France par les forces alliées ; il disait que, le renouvellement de la guerre ne pouvant manquer d’en être bientôt la conséquence, il allait faire préparer ses équipages.

Tenu ainsi en éveil et sans cesse surexcité dans ses inquiétudes et dans les défiances auxquelles son caractère le portait naturellement, sir Hudson Lowe n’en fit pas moins de grands, de louables efforts pour concilier les devoirs opposés qui pesaient ainsi sur lui. Son esprit peu souple n’y mit pas toujours beaucoup d’adresse, il ne sut pas toujours éviter des tracasseries blessantes et inutiles ; mais sa bonne volonté ne peut être douteuse pour quiconque aura la patience de lire avec un peu d’attention ses volumineuses dépêches. Malheureusement cette bonne volonté, contrariée dans plusieurs circonstances importantes, comme nous le verrons bientôt, par les obstacles que le cabinet de Londres opposa à ses intentions conciliantes, devait d’ailleurs échouer contre l’irritation de Napoléon et contre des calculs que j’expliquerai plus tard.

Il ne faut pas perdre de vue ce fait important, que les rapports personnels de Napoléon avec sir Hudson Lowe ont été très rares, qu’ils ne se sont vus que cinq fois, que dans deux de ces cinq entrevues, dans la dernière surtout, qui eut lieu quatre mois seulement après l’arrivée du général à Sainte-Hélène, Napoléon se livra contre lui à des emportemens si extrêmes, que toute communication directe entre eux devint moralement impossible. Cela résulte, non pas seulement du récit qu’en fait sir Hudson Lowe, mais de l’aveu même de Napoléon, consigné dans les mémoires de MM. de Las-Cases et de Montholon. Il y reconnaît que sa conduite à l’égard du gouverneur ne peut être excusée que par la situation en quelque sorte désespérée à laquelle on l’avait réduit, et il y constate le calme parfait que sir Hudson Lowe sut conserver pendant cette scène extraordinaire. Il est vrai qu’ingénieux à lui trouver des torts, il se plaît à voir dans ce calme même une preuve d’insensibilité et d’absence de délicatesse. Quoi qu’il en soit, passé ces quatre premiers mois, les communications de Napoléon avec le gouverneur n’eurent plus lieu que par l’intermédiaire de ses compagnons de captivité. Sir Hudson Lowe eut encore à essuyer de quelques-uns d’entre eux, soit de vive voix, soit par écrit, des insultes qui souvent leur étaient commandées par Napoléon ; mais il mit à repousser ces agressions un mélange de modération et de fermeté dont on doit conclure qu’il avait un sentiment assez juste des devoirs de sa position.

Je n’entrerai pas dans le détail fastidieux des difficultés toujours