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des années, bien qu’il en semble séparé par d’immenses espaces, — où la passion de la liberté et les opinions libérales plus ou moins bien comprises avaient à ce point conquis la France, qu’en dehors de ces idées il n’y avait plus pour personne aucune chance de popularité. Tous les partis alors, sans en excepter ceux dont elles étaient en quelque sorte la négation, leur demandaient des armes, des moyens de succès, et peut-être s’y croyaient-ils sincèrement convertis, tant est grande la facilité de la plupart des hommes à entrer avec une certaine bonne foi dans l’ordre de sentimens et de principes qui s’accorde le mieux avec leurs intérêts du moment. En ce temps-là, les admirateurs de Napoléon, ceux qui s’efforçaient de réhabiliter sa mémoire un moment compromise après la catastrophe de 1815 et de réagir contre le dénigrement excessif dont il avait été l’objet, imaginèrent un moyen singulier de concilier le culte qu’ils lui rendaient avec les idées alors dominantes et qu’ils ne voulaient pas froisser. Ils prétendirent que s’il n’avait pas donné à la France des institutions libres, c’était uniquement parce que l’état intérieur du pays et les guerres continuelles où il se trouvait engagé avaient rendu momentanément la dictature nécessaire, mais que la liberté avait été constamment le but vers lequel il s’était efforcé de la diriger, le régime auquel il avait voulu la préparer. Plus tard, lorsque les doctrines ultra-démocratiques et socialistes commencèrent à remplacer dans la faveur des masses celles du vrai libéralisme, on adopta un autre point de vue : l’empereur, disait-on, avait en effet une grande aversion pour les fictions constitutionnelles, mais cette aversion tenait à ce qu’il y voyait la violation des droits du peuple et de la souveraineté nationale au profit exclusif d’une oligarchie bourgeoise. Aujourd’hui, telle est la disposition des esprits, que ce serait un mauvais moyen de recommander Napoléon à la sympathie publique que de lui prêter de pareilles pensées. Un ouvrage récemment publié, les Mémoires du roi Joseph, suffirait, à défaut de tant d’autres preuves, pour démontrer qu’il en était bien éloigné au temps de sa puissance. La correspondance de sir Hudson Lowe fournira, s’il le faut, à ses apologistes les moyens d’établir tout aussi péremptoirement que l’infortune et la captivité ne l’en avaient pas rapproché. Je me bornerai à en citer quelques passages qui me paraissent tout à fait concluans dans ce sens.

Parlant des projets d’une réforme parlementaire qui se débattaient dès lors en Angleterre, Napoléon disait qu’une telle entreprise était pleine des plus grands dangers, et que de proche en proche elle devait mener à une révolution.

Ce qu’il blâmait dans le gouvernement de Louis XVIII, et en cela il était en parfait accord avec les ultra-royalistes, c’étaient les tendances