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qui a su enfin se faire compter dans cette aristocratique Angleterre qui n’accorde guère son estime qu’à des services très positifs ? Né de parens indigens, George Stephenson, dès l’âge de cinq ou six ans, avait dû gagner lui-même son pain. Les écrivains anglais qui ont raconté sa vie nous le montrent conduisant alors des chevaux dans les champs, ou nettoyant les magasins de charbon auprès de Newcastle. Plus tard, il fut admis à servir sur ces routes ferrées dont il devait un jour transformer la destination. Le désir ardent de s’élever le soutint et l’excita durant ces rudes et premières épreuves. Employé autour des appareils mécaniques, il fit remarquer son aptitude à en manier les rouages. Il passa bientôt surveillant des machines appartenant à l’exploitation houillère dans laquelle il travaillait. Le développement ultérieur de sa situation fut néanmoins assez lent, comme il arrive dans toutes les carrières où un homme doit tout seul frayer sa route et faire accepter un mérite exceptionnel. Marié fort jeune, il eut à subir assez longtemps une cruelle gêne domestique. Il a dit lui-même dans un discours public qu’utilisant ses connaissances comme mécanicien, il était obligé de raccommoder le soir, après sa journée finie, les montres et les pendules de ses voisins, afin de gagner les moyens d’élever son fils. Une preuve de la confiance qu’il inspira néanmoins de bonne heure, ce fut l’essai de sa locomotive en 1814. Il y avait là un éclair de génie et un indice frappant du besoin de recherches dont George Stephenson était tourmenté. À compter de ce moment, sa renommée se répandit dans tous les districts houillers du nord de l’Angleterre. Lorsqu’il eut été choisi en 1821 comme ingénieur du chemin de Stockton à Darlington, il lui devint facile d’étendre le cercle de ses essais en fait de locomotives, et de multiplier d’heureuses expériences. D’autres que lui ont apporté dès les premiers temps d’utiles données à l’art du constructeur ; Mark Brunel, par exemple, l’audacieux entrepreneur du tunnel de la Tamise, sut aussi appliquer avec succès son esprit inventif aux constructions mécaniques. La priorité n’en reste pas moins à Stephenson, et, disons-le, il aurait dû trouver dans cette circonstance une raison pour se montrer moins injuste qu’il ne le fut envers ses compétiteurs ; mais, outre qu’il était fort attaché à ses idées, Stephenson avait conservé des premières habitudes de sa vie une enveloppe très rude. Quoi qu’il en soit, son premier triomphe lui valut une immense clientèle qui grandit jusqu’au moment où il quitta les affaires, et qu’il a léguée à son fils. Son système s’était trouvé, par suite du concours ouvert par la compagnie de Liverpool, seul en usage sur le nouveau chemin. Un tel résultat était peut-être fâcheux sous certains rapports, mais on put du moins y étudier ses machines dans leurs moindres détails[1]. L’esprit public é

  1. La machine Stephenson était une de ces machines dites « haute pression, et auxquelles on avait renoncé sur les bâtimens à vapeur à la suite d’accidens arrivés par explosion. Avec les machines à basse pression, la vapeur, moins comprimée, est plus facile à retenir ; mais il en faudrait une quantité infiniment plus grande pour produire une force égale. Renoncer aux machines à haute pression, qui donnent plus de force tout en prenant moins de place et en pesant moins, c’eût été, pour dire le mot, rendre les chemins de fer impossibles, tant les résultats obtenus en fait de vitesse eussent été faillies. On n’emploie sur les chemins de fer que des machines à haute et très haute pression, et comme les circonstances ne sont plus les mêmes ici que dans la navigation, ce système n’est accompagné d’aucun danger.