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touchait à des intérêts plus nombreux et plus puissans. Le transport des personnes donna naissance, comme celui des matières premières, à divers abus. L’acte de concession n’avait pu fixer ici aucun tarif, parce qu’à l’origine on n’avait en vue que les marchandises. Quand il fallut abattre la concurrence des anciennes voitures, le transport des voyageurs se fit à des prix modérés ; mais on le porta un peu plus tard à un taux excessif. Tandis que le public réclamait une intervention plus active de l’autorité dans la surveillance du service, la compagnie en repoussait au contraire l’idée, alléguant les termes du contrat. D’autres chemins de fer ayant été concédés avec des cahiers des charges plus détaillés, la pression du dehors devînt plus vive, et on fut contraint de céder quelque chose. Le terrain ne fut gagné pourtant que pied à pied, et quelquefois à l’aide de transactions plus ou moins secrètes entre les concessionnaires et les principaux opposans de la localité. On put juger là une fois de plus combien le monopole, livré à lui-même, se laisse aisément emporter à des exagérations, au préjudice même de son intérêt bien entendu.

Les trois chemins de la Loire avaient été terminés et livrés au public dans l’ordre chronologique des concessions. Sur celui de Saint-Étienne à Andrezieux, le service régulier commença le 1er octobre 1828. Antérieure de deux années à l’ouverture du chemin de Liverpool à Manchester, cette date nous reporte bien à l’ère primitive des railways. Les diverses fractions de la ligne de Lyon à Saint-Étienne ne furent mises en exploitation que successivement. On circula de Rive-de-Gier à Givors dès le mois de juin 1830, c’est-à-dire quelques mois encore avant l’inauguration du chemin de Liverpool. À la fin de 1832, la ligne entière était ouverte. Les transports commencent sur la route ferrée de Roanne en 1834. La même année, les railways du Forez sont reliés les uns aux autres, et quoique l’accord passé entre les compagnies laisse place à des difficultés ultérieures, on peut dès lors éviter les embarras d’un transbordement.

Une même fortune n’était pas réservée à ces trois rameaux d’un même groupe ; mais pour apprécier la diversité de leurs destinées, il faut savoir ce qu’a coûté chacun de ces premiers chemins de fer. Le complet achèvement de la ligne de Saint-Étienne à Andrezieux nécessita, en comptant les frais du matériel, une dépense de 2,087,555 francs[1] ; c’était, à raison de 20 kilomètres, une somme de 104,377 francs par kilomètre. Le chemin de Lyon, malgré l’économie apportée dans l’exécution des travaux, exigea beaucoup plus. La dépense totale, sans y comprendre les intérêts payés aux actionnaires pendant la construction, mais en comptant les frais du matériel et tous les frais accessoires, fut d’à peu près 14,500,000 francs, ou de 248,000 fr. par kilomètre. Cette énorme différence tient principalement à deux causes : l’extension considérable des travaux d’art et le prix des terrains, infiniment plus élevé dans un pays mieux cultivé ou aux alentours de localités populeuses[2]. Quant à la ligne de Roanne, frayée à travers une région perdue,

  1. Le fonds de la société était seulement de 1,791,000 fr. L’excédant a été couvert par les produits de l’exploitation.
  2. On avait évalué les acquisitions de terrains à 1,200,000 fr. et on atteignit le chiffre de 3,633,000 fr. On était alors placé, en fait d’expropriation forcée, sous le régime si difficile de la loi de 1810.