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Avide d’avenir, il rêvait un tel sort ;
Ses jours, il les aurait donnés pour cette mort…
Dans un autre avenir, moi, je plongeais mon âme :
C’était la terre en fleur, c’était le ciel en flamme
Qui vers eux attiraient ma pensée et mes sens ;
J’ouvrais à la beauté mes bras adolescents.
Or une douce fille, enfant comme moi-même,
Légère, les pieds nus, vint à passer : « Je t’aime ! »
Lui dis-je dans mon cœur. Je vis briller ses yeux,
Et je suivis ma route encor plus radieux.
La nature, l’amour, la parole d’un prêtre
Avaient en un seul jour fécondé tout mon être.

Ami de l’idéal, mets ta main dans ma main,
Et je te conduirai par le même chemin.
Dans son berceau rustique heureux est le poète
Que la Nature aima d’une amitié secrète,
Qu’elle a, mère jalouse, élevé dans ses bras :
Celui qui n’a point bu son lait ne vivra pas.
Gravissons la montagne. À l’ombre des vieux chênes,
Des Celtes, nos aïeux, les traces sont prochaines.
Plus d’un barde a chanté, là, devant ce men-hir :
Évoquons en passant la voix du souvenir.
De l’heureuse Nature harmonieux royaume !
Oh ! comme tout fleurit, tout brille, tout embaume !
De verdure entouré, de verdure couvert,
On avance sans bruit sur un beau tapis vert ;
L’extase par moments vous arrête, et l’on cueille
Autour d’un tronc énorme un léger chèvre-feuille ;
On s’étend sur la mousse au pied d’un frais bouleau,
Et tout près, sous des fleurs, on entend couler l’eau.
Alors, à deux genoux, et les mains sur la terre,
Le voyageur, pareil au faon, se désaltère ;
Et merles à l’entour, et grives, et pinsons
Tous les oiseaux du bois entonnent leurs chansons,
Voletant, sautillant, du bec lissant leurs ailes,
Et de leurs yeux si clairs jetant des étincelles.
Ainsi dans ces concerts, ces parfums, ces couleurs,
Celui qui les a faits, oiseaux, arbres et fleurs,
Se révèle. Partout Dieu présent, Dieu sensible !
Dans la création l’invisible est visible :
Le symbole s’entrouvre, et sous le voile d’or,
L’Être pur apparaît, plus radieux encor.