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n’avaient d’autre mérite que de se mieux dissimuler, et maintenant inflexiblement la pensée agressive de cette politique d’où est née la guerre actuelle. Sans doute la précision même des dernières délibérations des puissances de l’Europe resserre singulièrement autour de la Russie le cercle des diversions et des atermoiemens possibles, et donne un sens plus déterminé, une valeur plus réelle à l’incident qui se produit aujourd’hui. L’adhésion de la Russie aux conditions premières de la paix reste cependant encore moins un fait irrévocable et complètement rassurant qu’un symptôme sujet à toutes les interprétations. Il en résulte que ces jours derniers se sont passés pour l’Europe à espérer un peu et à douter beaucoup, à croire à la paix et à n’y point croire, à scruter encore une fois la position et la politique de chaque puissance, à rechercher le mot de cette énigme nouvelle un peu partout, à Saint-Pétersbourg, à Paris ou à Londres, à Vienne et à Sébastopol, au siège des négociations et sur le théâtre de la guerre.

Cette situation plus décisive, qui ne peut être suivie en effet que d’une paix prochaine ou d’une lutte agrandie et plus terrible, c’est le traité du 2 décembre qui l’a indubitablement créée, en montrant l’Autriche, l’Angleterre et la France prêtes à lier leurs forces, et en plaçant la Russie dans une alternative suprême. Il y a donc deux faits en présence : il y a l’entente explicite qui s’est établie entre les trois puissances alliées sur la portée réelle des garanties du 8 août, et il y a l’acceptation par la Russie de ces garanties, telles qu’elles ont été récemment interprétées et précisées à Vienne. À vrai dire, la signature même du traité du 2 décembre impliquait un accord essentiel sur la valeur des conditions qui faisaient l’objet de l’alliance. Il restait une formule à trouver : on n’a point tardé à l’adopter en commun, et, par une coïncidence singulière, c’est la Russie elle-même qui avait pris soin de déterminer avec une très grande netteté le sens pratique des garanties du 8 août ; c’est le cabinet de Pétersbourg qui, dans une de ses dépêches, il y a quelques mois, disait fort justement que ces conditions ne signifiaient point autre chose que « l’anéantissement de tous les traités antérieurs, la destruction de ses établissemens maritimes, lesquels, par suite de l’absence de tout contrepoids, sont une menace perpétuelle contre l’empire ottoman, et la restriction de la puissance russe dans la Mer-Noire. » Les alliés du 2 décembre n’ont eu à modifier que très peu sans doute les termes dans lesquels le gouvernement du tsar posait la question. Ainsi, pour l’Autriche comme pour la France et l’Angleterre, les traités antérieurs de la Russie avec la Sublime-Porte n’existent plus, et cette abrogation met fin, en droit et en fait, à tout protectorat moscovite. Pour le cabinet de Vienne comme pour les cabinets de Londres et de Paris, la liberté des bouches du Danube doit être garantie par la création d’un syndicat européen, peut-être par la destruction de quelques forts élevés par la Russie. Pour les trois cours alliées, la prépotence russe dans la Mer-Noire doit cesser.

C’est dans ces termes que l’interprétation des garanties du 8 août adoptée par l’Autriche, l’Angleterre et la France était communiquée le 28 décembre au représentant du tsar à Vienne ; il lui était laissé en même temps un délai de quinze jours pour se munir des pouvoirs qu’il n’avait pas, et pour répondre simplement d’une manière affirmative ou négative. La première