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faible, contient le superbe et ramène les égarés ? — Voilà bien des questions qui se posent au début d’une année nouvelle, et dont rien ne fait espérer encore la prochaine solution.

En attendant, le Théâtre-Italien a livré une grande bataille. Un nouvel opéra de M. Verdi, il Trovatore, a été représenté dans les derniers jours du mois de décembre avec un grand appareil de mise en scène. Les partisans de M. Verdi disaient à qui voulait l’entendre que cet ouvrage du compositeur italien dissiperait les nuages qui obscurcissent encore sa gloire à Paris, et que les adversaires de ce qu’ils appellent la nouvelle école auraient la bouche close et seraient condamnés à l’admirer. Nous verrons tout à l’heure ce qu’il faut croire de ce bulletin de conquête et quelle a été l’issue du combat. Disons quelques mots d’abord du sujet de la pièce, c’est un de ces sombres mélodrames pour lesquels M. Verdi a une sorte de prédilection, et qu’on ne supposerait pas sur les théâtres de nos boulevards. La scène se passe en Espagne vers le XVe siècle, il s’agit d’une bohémienne, d’une zingara, qu’un certain comte de Luna fait brûler toute vive parce qu’il l’accuse d’avoir voulu jeter un maléfice sur un enfant qu’il avait au berceau. Il arrive que la fille de cette bohémienne, Azucena, pour venger la mort de sa mère, dont il lui semble entendre encore les gémissemens, enlève l’enfant du comte et lui fait subir la peine du talion en le jetant tout vif dans un bûcher ardent. Mais en voici bien d’une autre ! La bohémienne s’est trompée, et au lieu d’immoler le fils du comte elle a brûlé par mégarde son propre enfant ! Tel est le prologue de la pièce ; au lever du rideau, on apprend bientôt que deux rivaux se disputent le cœur de la belle Léonore, grande dame de la cour qui a une préférence marquée pour un jeune aventurier, Manrico il trovatore, c’est-à-dire le troubadour. Il résulte de cette lutte que le rival de Manrico est le tout puissant comte de Luna, le frère de l’enfant enlevé par Azucena, et passant de surprise en surprise, on éclaircit enfin ce sombre mystère, d’où il ressort que la bohémienne Azucena, que Manrico, qui se croit son fils, et que la belle Léonore meurent tous sous la vengeance du comte de Luna, qui n’apprend que trop tard qu’il vient de sacrifier son propre frère. On pourrait vraiment appliquer à ce tissu d’horreurs ridicules l’épigramme qu’un critique vénitien fit pour une pièce semblable :

Auditori, m’accorgo che aspettate
Che nuova della pugna alcun vi porti :
Ma l’aspettate in van, son tutti morti.


« Je m’aperçois, auditeurs, que vous attendez des nouvelles de l’issue du combat, mais vous attendez en vain, car ils sont tous morts. »

Nous sommes parfaitement à l’aise avec M. Verdi, dont nous n’avons jamais méconnu les qualités et dont nous avons toujours combattu les défauts. Ses qualités consistent dans le sentiment des effets dramatiques, dans un nombre assez restreint d’idées mélodiques qui ne sont pas dépourvues d’originalité, dans une certaine fougue passionnée, dans l’instinct du rhythme et de la combinaison des morceaux d’ensemble. Ses défauts, plus considérables que ses qualités, sont la violence habituelle du style, l’absence complète de grâce et d’imagination, une harmonie pauvre, une instrumentation