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les curieux efforts qui menacent toujours la foi de Sully. C’est Villeroy qui vient le presser au nom du service de sa majesté, c’est le cardinal Du Perron qui répond à ses objections théologiques « qu’il y a des expédiens, que pour la transsubstantation et les images il en croiroit ce qu’il voudroit, qu’on lui donnerait un privilège et à toute sa race de communier sous les deux espèces. » Nous avons hâte d’arriver à la dernière, et à la plus importante audience que Chamier ait obtenue de Henri IV. Le roi s’adoucissant jette sa mauvaise humeur passée sur un accès de goutte et parle à Chamier avec une séduisante franchise.

« Alors il me dit qu’il se vouloit servir de moi, et servir non pas comme plusieurs pensoient et disoient qu’il tachoit de gagner les ministres…, qu’il ne demanderait rien de moi que ce qui se doit d’un homme de bien ; qu’il n’étoit pas, comme on le disoit, gouverné par les jésuites, mais qu’il gouvernoit et les ministres et les jésuites, étant le roy des uns et des autres… qu’on avoit reçu des lettres des princes étrangers, qu’on avoit appelé le pape antéchrist, de quoi il se falloit abstenir, quand il n’y aurait que cette considération qu’il étoit son ami, et que, quand le roy d’Espagne serait son ennemi, il n’endurerait pas qu’on en parlât mal… Il me dit, quant aux disputes, qu’il ne les trouvoit pas mauvaises, encore qu’il ne les trouvât pas bonnes, mais qu’il ne vouloit pas les empêcher : qu’on pouvoit toutefois dire les choses doucement, même qu’il ne trouvoit pas bon que nous nommassions les papistes, que nous pouvions les appeler romains, ou de la religion romaine, ou nos adversaires. Je lui dis qu’ils nous appeloient ordinairement hérétiques, calvinistes, et il dit que c’étoit par abus et que nous le prenions comme si on parloit de nous brûler. Il me dit qu’il voudroit avoir perdu un bras et pouvoir réunir tous ses sujets en une même croyance… qu’il falloit que chacun lui aidât… Lors il s’adressa à moi et dit que je lui aidasse. Je lui dis que j’y pouvois peu, mais que je serais marri de n’y apporter tout ce qui serait en moi. Lors il dit que j’y pouvois beaucoup, et se jeta sur mes louanges, et dit qu’il avoit pensé à me faire du bien, » me donner une pension, et en avoit parlé à M. de Bouillon, mais qu’il ne l’avoit point voulu faire pour cette année, car il vouloit premièrement voir comme je le servirois en la prochaine assemblée qu’il accorderoit dans quatre ou cinq mois, et laquelle il eût déjà accordée, mais qu’il a vu qu’il y a encore des fols parmi nous, et sur cela se plaignit de M. Renaud, de ce qu’il avoit écrit en Allemagne et des paroles qu’il avoit dites, qu’il gagnait les hommes de notre parti en leur donnant des pensions, et qu’il vouloit que je lui fusse témoin comme il n’en étoit rien ; que de telles paroles l’offensoient fort. »

Ce curieux entretien, où l’élément comique domine, se prolonge entre l’honnête Chamier et le plus spirituel des rois de France. Henri IV se livre tour à tour aux émotions les plus touchantes, aux confidences les plus familières. Il sanglotte en parlant de ses devoirs de roi ; il rassure Chamier sur le caractère du dauphin, en qui les réformés pressentaient un adversaire : « Qu’au reste le dauphin étoit d’un naturel tel qu’il le faut à la France, ayant assez de courage pour se faire craindre et se servir du glaive que Dieu a mis en la main des roys ; d’un autre côté, d’un naturel débonnaire pour ne point faire de mal, car, même quand on fait battre des renards avec des petits