Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en étoffes de soie et laine, distribués tout autour de l’appartement. Quant au mobilier du salon d’été, il se compose d’une fontaine jaillissante située au centre de la pièce, et à laquelle on ajoute, lorsque les circonstances l’exigent, des coussins et des matelas pour s’asseoir ou se coucher. D’ailleurs ni fenêtres ni portes, aucune barrière établie entre l’extérieur et l’intérieur. Mon vieux muphti, qui à l’âge de quatre-vingt-dix ans possède plusieurs femmes, dont la plus vieille a trente ans, et des enfans de tout âge, depuis le marmot de six mois jusqu’au sexagénaire, professe une répugnance de bon goût pour le vacarme, le désordre et la malpropreté du harem. Il s’y rend dans la journée, comme il va dans son écurie voir et admirer ses chevaux, mais il habite et il couche, selon la saison, dans l’un ou dans l’autre de ses salons. Le brave homme comprit que si une longue habitude n’avait pu le réconcilier avec les inconvéniens du harem, ce devait être encore bien pis pour moi, nouvellement débarquée de cette terre d’enchantemens et de raffinemens qu’on nomme ici le Franguistan. Aussi me déclara-t-il tout d’abord qu’il ne nie reléguerait pas dans ce lieu de ténèbres et de confusion, infect et enfumé, qu’on nomme le harem, et qu’il me cédait son propre appartement. J’acceptai avec reconnaissance. Quant à lui, il s’installa dans son salon d’été. Quoique nous fussions à la fin de janvier et que la neige couvrit la ville et la campagne, il préférait sa fontaine gelée, son pavé humide et ses courans d’air à la chaude, mais immonde atmosphère du harem.

Je détruis peut-être quelques illusions en parlant avec aussi peu de respect des harems. Nous avons lu des descriptions de harems dans les Mille et une Nuits et autres contes orientaux ; on nous a dit que ces lieux sont le séjour de la beauté et des amours : nous sommes autorisés à croire que les descriptions écrites, quoique exagérées et embellies, sont pourtant fondées sur la réalité, et que c’est dans ces mystérieuses retraites que l’on doit trouver rassemblées toutes les merveilles du luxe, de l’art, de la magnificence et de la volupté. Que nous voilà loin de la vérité ! Imaginez des murs noircis et crevassés, des plafonds en bois fendus par places et recouverts de poussière et de toiles d’araignées, des sofas déchirés et gras, des portières en lambeaux, des traces de chandelle et d’huile partout. Moi qui entrais pour la première fois dans ces charmans réduits, j’en étais choquée ; mais les maîtresses de la maison ne s’en apercevaient pas. Leur personne est à l’avenant. Les miroirs étant fort rares dans le pays, les femmes s’affublent à l’aventure d’oripeaux dont elles ne peuvent apprécier le bizarre effet. Elles piquent force épingles en diamans et en pierreries sur des mouchoirs de colon imprimé qu’elles roulent autour de leur tête. Rien n’est