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M. Charles de Bernard naquit à Besançon le 24 février 1804. Sa famille, originaire du Vivarais, était de très ancienne noblesse. La branche aînée, qui porte les noms de Bernard du Grail de Talaude, a son chef en Languedoc. Charles de Bernard était de la branche cadette, qu’on appelait aussi de la Villette, du nom d’une terre qu’elle possédait avant la révolution. Le grand-père de Charles, cadet plus riche d’honneur et de parchemins que d’écus, servait à Besançon dans la maréchaussée ; l’on put remarquer dès lors, entre cette ancienneté de race et cette médiocrité de fortune, un contraste dont l’auteur de Gerfaut et du Nœud Gordien semble s’être souvenu. Il y a, pour observer et pour peindre ce qu’on est convenu d’appeler le monde, bien des points de vue différens : il y a le vif désir de lui appartenir, le regret de n’en pas être, le chagrin de s’en voir repoussé, se traduisant en enluminures chimériques, en récriminations amères, en blessantes caricatures ; il y a la fâcheuse manie de confondre l’exception avec la règle et de prendre pour des types de la bonne compagnie ces existences déclassées par une abdication volontaire, qui n’en sont que la honte, l’épouvante et le rebut ; il y a enfin ce désabusement spirituel et résigné, cette ironie délicate et polie, aussi éloignée de l’éblouissement que de la satire, et où devait particulièrement se complaire un homme que je définirais volontiers le contraire d’un parvenu. Mais me voilà déjà effleurant d’avance une des inspirations familières de cet aimable talent, et nous n’en sommes encore qu’à la jeunesse et aux débuts de Charles de Bernard.

Il débuta par la poésie, car c’est toujours ainsi que l’on commence, sauf à descendre plus tard à la prose, et à fondre, dans une proportion plus ou moins juste, les rêveries du premier jour avec les réalités du lendemain. C’est en 1829 que nous voyons son nom pour la première fois, dans un concours des jeux floraux de Toulouse. L’académie toulousaine couronna une pièce de lui, intitulée une Fête de Néron, titre qui rappellera aux amateurs de synchronismes littéraires une tragédie de la même époque et une ode brillante de M. Victor Hugo. Peu après la révolution de juillet, M. Charles de Bernard, alors âgé de vingt-six ans, se lança dans la polémique politique, autre illusion, moins gracieuse que la poésie, et qui partagea avec elle l’honneur de passionner la jeunesse de ce temps-là. Il prit part à la rédaction de la Gazette de Franche-Comté, une de ces gazettes monarchiques destinées à attaquer la nouvelle monarchie, et prêchant au pays le plus centralisateur du monde une décentralisation toujours espérée et toujours déçue. La politique, avouons-le, devait peu convenir à M. Charles de Bernard : non pas qu’il ne fût très capable de toucher d’une main ferme aux questions positives et sérieuses,