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songer à ces faciles viveurs en cheveux gris aventurés dans une partie de jeunes gens. M. Charles de Bernard fut des soirées de l’Arsenal ; il y vit MM. Hugo, de Vigny, Sainte-Beuve, Deschamps, de Musset, Dumas, et y prit une légère teinture du romantisme à son déclin, non pas, bien entendu, pour en partager les ardeurs, ni surtout pour en être dupe, mais pour être de son temps et de son moment, ce qu’un homme d’esprit ne doit jamais négliger. Cet hiver de 1831-1832, malgré les préoccupations publiques, fut encore très brillant pour la littérature romantique, que menaçaient déjà les défaillances des maîtres et les délections des disciples. M. Hugo venait de publier les Feuilles d’automne, le plus parfait et le plus humain de ses recueils lyriques ; M. Dumas faisait jouer, avec toutes sortes de mouvement et de tapage, ses drames, si vile oubliés, de Teresa et de Richard d’Arlington ; M. de Balzac, à l’aide de ces charmantes esquisses, le Message, la Femme de trente ans, le Rendez-vous, achevait de réparer les péchés pseudonymes d’Horace de Saint-Aubin et du comte de Villerglé ; M. de Vigny mettait la dernière main aux délicates arabesques de Stello ; M. Alfred de Musset lisait à un cercle d’intimes, fiers de pressentir sa gloire, les pages étincelantes de la Coupe et les Lèvres et de Namouna. Le recueil où j’écris, créé depuis un an à peine, ralliait déjà les jeunes talens auxquels il devait plus tard servir de rempart et de refuge contre les excès de la littérature mercantile. MM. Sainte-Beuve et Gustave Planche y formaient, à vrai dire, la critique contemporaine, en y introduisant, l’un l’analyse familière et pénétrante de la vie intérieure, s’éclairant par les détails de la biographie et les fines inductions de la curiosité littéraire, l’autre l’étude sérieuse et profonde des passions et des caractères. Enfin l’on commençait à murmurer dans le monde, des lettrés et des artistes un nom bizarre, à demi voilé sous un déguisement masculin, et destiné à signer quelques mois plus tard Indiana et Valentine.

C’est à ce moment que se rattache la publication du recueil poétique de M. Charles de Bernard, Plus Deuil que Joie (devise des Beaffremont). Ce recueil parut en mais 1832. Le ton général en était chevaleresque, élégiaque, monarchique, empreint ça et là d’un scepticisme hautain qui contraste avec force réminiscences évangéliques ou bibliques, — un peu suranné déjà lors de son apparition, un peu plus aujourd’hui, tel en un mot qu’en le relisant à vingt-trois ans de distance on est forcé d’avouer que la poésie proprement dite n’était pas précisément la vocation de l’auteur. Ses vers furent lus pourtant par ce petit nombre de connaisseurs qui composent un succès d’estime. La préface fut plus généralement remarquée ; c’était un morceau politique d’une netteté et d’une vigueur peu communes,