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méthodes. Il y a dans l’empiétement d’une science sur l’autre un sophisme, implicite qui, par ses effets délétères, paralyse tout ce qu’il touche, sophisme qu’avant toute explication ultérieure il est possible d’indiquer. Remarquez-le, ce n’est pas la biologie qui tente d’expliquer les phénomènes chimiques à l’aide des lois qui lui sont propres ; il n’y a de ce côté aucune invasion ; il est trop clair que ses procédés ne sont pas applicables ; elle compare bien plus qu’elle n’analyse, et jamais ne recompose. Il n’en est pas de même de la chimie ; elle a rendu tant de services, elle touche de si près aux actions organiques, que, se laissant aller à sa pente, elle intervient dans un domaine qu’elle réclame comme sien en totalité ou en partie. Toutefois qui ne comprend, fût-ce d’intuition seulement et sans examen approfondi, que le cas vital est plus complexe que le cas chimique et que par conséquent essayer de résoudre l’un par l’autre, c’est laisser en dehors une part du problème, et sans doute la plus décisive, celle justement qui fait qu’il y a vie et non purement travail chimique ?

Les diverses parties de la science biologique, ou, si l’on ne veut considérer que deux de ses divisions, l’anatomie et la physiologie, sont très ignorées, même du public lettré et cultivé. À la vérité il n’est rien sur quoi le monde ait si facilement une idée ou un avis. Il n’est rien non plus qui nous serre, nous presse, nous intéresse à un tel degré. Les hommes, les animaux qui peuplent avec nous, le globe terrestre, les poissons qui habitent les profondeurs, les oiseaux qui planent dans l’air, les végétaux qui sont fixés immobiles au lieu de leur naissance, les races anéanties qui n’ont plus de représentans sur la terre, nous tous nous ne sommes, nous ne fûmes, nous ne serons que conformément aux conditions, aux lois qui gouvernent l’ensemble des êtres vivans, ou qui, abstraitement considérées, constituent la biologie : in hoc movemur et sumus. De là cette connaissance usuelle de tout ce qui s’y passe ; mais, comme c’est une science bien plus compliquée que la chimie, la physique, l’astronomie ou la mathématique, de là en même temps une méconnaissance radicale des élémens de cette grande doctrine. Écoutez le premier-venu discourant sur une maladie quelconque (et une maladie est un cas relevant de la biologie) ; il vous dira qu’elle provient du sang, de l’humeur, que sais-je ? de toutes choses fort mal connues de celui qui parle, fort mal connues surtout dans leurs propriétés actives. Se taire en ce cas, ne pas donner d’explication est si rare, qu’on peut regarder le silence en pareille matière comme la marque d’un esprit discipliné et habitué à réfléchir sur l’étendue de ce qu’il sait réellement. J’essaierai donc de dissiper quelques-uns de ces nuages et d’exposer un point particulièrement ignoré, — comment une science qui au premier abord ne se compose que de dissections, de descriptions, d’observations,