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chacun ait pu savoir à qui et dans quelle mesure il devait résister ou obéir. Si la chute de ce régime a prouvé combien la légalité avait encore peu de racines sur notre sol, les bienfaits qui se sont développés à son abri, la gloire nouvelle qui en était sortie pour l’esprit français, l’héritage même de prospérité matérielle qui nous en est resté, font voir cependant que la partie valait au moins la peine d’être jouée.

Analyser par quelles causes diverses cette entreprise, soutenue cette fois par tant de talens et d’efforts, est encore venue, au bout de trente années, s’engloutir dans un abîme, ce serait refaire le livre entier de M. de Carné. Il ne faut pas moins que les détails heureusement choisis dans lesquels il entre sur les deux phases de notre gouvernement représentatif pour en faire juger avec impartialité les torts et les mérites différens. Toute appréciation superficielle sur ces sujets délicats froisserait inutilement des susceptibilités encore très vives. Attaché par un dévouement héréditaire au gouvernement de la restauration, M. de Carné condamne librement ses fautes : peu favorable à l’événement qui fonda le gouvernement de juillet, il sait aussi en reconnaître les mérites. Nous n’acceptons pas sans restriction le partage qu’il fait de l’éloge et du blâme. M. de Carné est par exemple beaucoup trop incliné, pour notre goût, à considérer la monarchie de juillet comme le pis-aller d’une nation en révolution, comme un temps d’arrêt où elle s’arrêta, faute de mieux, étant déchue de la monarchie et ne voulant pas tomber en république. Ce jugement, qui pourrait paraître un peu dédaigneux, manquerait à la fois, suivant nous, de vérité historique et morale. Les hommes qui se dévouèrent à la monarchie de juillet n’y furent pas portés seulement par un sentiment négatif et timide. Ils ne s’en contentaient pas de peur de pire. Une passion plus active et plus généreuse fit la garde au milieu des dangers publics autour du berceau de cette royauté : c’était l’amour de la loi et la haine de l’arbitraire. Incarnée dans la personne d’un grand ministre, qui la poussa jusqu’à l’héroïsme et mourut à la peine en défendant la loi, cette noble passion pourrait fournir encore dans l’exil une épitaphe au tombeau du roi qui gouverna dix-huit ans au milieu des balles de l’assassinat et de l’émeute, sans porter une seule fois atteinte ni à la vie, ni à la liberté, ni à la fortune d’un seul Français. De tous les sentimens que le temps efface ou que le souffle des révolutions éteint, celui-ci est encore le seul qui survive dans beaucoup des cœurs qu’il a fait battre. M. de Carné, si digne de le comprendre, aurait peut-être pu l’apprécier plus chaleureusement.

À part ces critiques de détails, nous nous associons de bon cœur à la pensée principale de M. de Carné : c’est qu’après tout les deux