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mystérieux. Soyons justes toutefois, et, sans élever trop haut ces recherches, comme on l’a fait, ne les méprisons pas entièrement. Si la révolution qui s’est accomplie dans les opinions, le changement de la nomenclature, les idées nouvelles sur la combinaison des élémens matériels semblent séparer l’alchimie de la chimie et rompre tout lien avec le passé, il faut se rappeler que tant d’observations et d’expériences accumulées ont seules pu donner une base solide à la chimie de Lavoisier. Ne déplorons pas le but impossible que se proposaient les alchimistes, car ils eussent peut-être abandonné une science qu’ils auraient crue stérile, et l’intelligence la plus ingénieuse ne pouvait rien inventer qui agît sur l’esprit des hommes plus puissamment et d’une manière plus persistante que l’idée de la pierre philosophale. Il ne faut pas être trop sévère pour leurs illusions, car chaque jour nous découvre des erreurs grossières dans les opinions de nos devanciers, et la postérité en découvrira sans doute de singulières dans les nôtres. Bien des recherches qui passeraient aujourd’hui pour des signes d’aliénation mentale ont occupé des hommes rares par la sagacité et la pénétration. Si quelques-uns des contemporains même condamnaient les alchimistes et leurs travaux, ce n’était pas pour des raisons sérieuses et scientifiques : ils les eussent bien plus méprisés encore, si le but de leurs études eût été de fixer les rayons du soleil sur le papier, de congeler l’eau dans des creusets chauffés au rouge, de transmettre un signal à des milliers de lieues avec la rapidité de l’éclair, de faire de l’eau-de-vie avec des betteraves et du bois, des pierres précieuses avec de l’alun, toutes choses faciles aujourd’hui. Une science déjà très avancée peut seule nous faire connaître la limite du possible.

Quoi qu’il en soit, on eût bien étonné les alchimistes en leur disant que le fondement de la chimie devait un jour consister dans la théorie que nous allons exposer, et que les atomes des philosophes y joueraient un rôle important. Nous le répétons, pour nous le premier vrai chimiste théoricien, c’est Stahl, bientôt remplacé et éclipsé par Lavoisier. Depuis Stahl jusqu’à nos jours, on peut diviser l’histoire de la chimie en trois grandes époques, et chacune d’elles est caractérisée par une direction particulière imprimée aux travaux scientifiques.

Dans la première, nous trouvons Lavoisier en France, Priestley en Angleterre, Scheele en Suède. Tous trois apparurent en même temps et firent presque la même année des découvertes analogues. Il est en chimie plusieurs corps dont ils trouvèrent tous trois la composition, sans qu’on puisse leur reprocher de s’être copiés mutuellement, tant leurs procédés d’opération diffèrent et révèlent des génies divers et originaux. — L’un, Scheele, modeste pharmacien à Gothembourg, puis à Upsal et enfin à Kœping, était un esprit curieux, mais très pratique et n’ayant jamais lu peut-être qu’un seul