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Cette découverte, outre bien d’autres conséquences, est sur le point de présenter une utilité pratique, puisque le métal retiré de l’alumine va devenir entre les mains de M. Sainte-Claire Deville d’un usage aussi journalier que l’argent, sur lequel il a l’avantage du prix, de l’éclat et surtout du poids, étant léger comme le liège. Cette application de la pile à la chimie parait n’être qu’une découverte de faits ; cependant les conséquences en ont été si grandes et Davy était conduit par des raisons tellement scientifiques, qu’on ne doit pas hésiter à faire dater de cette année 1807 une nouvelle ère de la chimie. La pile entre les mains de Davy fut ce qu’était la balance pour Lavoisier. Les travaux de M. Faraday, l’élève et le successeur du chimiste anglais, sont d’ailleurs là pour prouver à quelles découvertes en chimie et en physique peut conduire l’électricité employée par des mains habiles.

La troisième époque de la chimie moderne est toute récente, et c’est à l’école d’un de ses plus illustres représentans que se forme la génération nouvelle. Elle commence à Berzélius, bientôt suivi par les deux chimistes dont les travaux occupent depuis vingt ans le monde scientifique, M. Liebig, professeur à Giessen et M. Dumas. Tous deux tendent à un but commun : ils sont bien les successeurs de Lavoisier, car ils n’emploient que la balance et l’analyse, et leurs inductions n’ont pas d’autre base ; mais au lieu de s’occuper, comme on l’avait fait jusqu’à eux, presque uniquement du règne minéral, ils se sont tournés vers la nature vivante, ils ont créé la chimie organique, chimie bien plus étendue que la première, bien plus compliquée, bien plus difficile, mais aussi bien plus féconde en applications. Les corps qu’étudie cette science sont très multipliés, puisqu’ils composent les animaux et les plantes, dont les aspects sont si divers, et cependant leurs élémens sont très peu nombreux. Aussi l’analyse devient-elle fort difficile et fort délicate, et c’est précisément dans l’analyse qu’excellent les grands chimistes de notre époque. Les anciennes expériences ont été répétées d’ailleurs avec cette qualité qui caractérise la science moderne tout entière, et qui est restée inconnue jusqu’à la fin du dernier siècle, l’exactitude. L’œuvre des savans actuels est donc une œuvre de destruction. Chaque jour, grâce à des observations mieux faites, une de ces lois que l’on appelait orgueilleusement lois de la nature disparaît. Chaque jour, un physicien, un chimiste ou un physiologiste, M. Pelouze, M. Regnault ou M. Bernard, découvre que ce que l’on croyait vrai ne l’est que dans certains cas particuliers ou jusqu’à une certaine limite, et ils laissent à leurs successeurs le soin de coordonner tous ces faits et de découvrir de nouvelles relations qui soient véritablement des lois naturelles : Assurément cette troisième époque de la chimie n’est pas terminée, et la voie où nous sommes engagés aujourd’hui doit encore