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chargée de distribuer l’humeur pituiteuse par tout le corps, — qu’on croyait les artères pleines d’air, — et que la distribution des veines était complètement ignorée. Les muscles, aperçus en gros, n’avaient point été séparés et dénommés, de sorte que la théorie des mouvemens était tout à fait rudimentaire. Cet échantillon suffit pour montrer comment l’on perçait peu à peu l’écorce qui enveloppait l’organisation, et comment on s’avançait à tâtons dans ce domaine inconnu et si attrayant pour l’intelligence même novice. Par quel côté pourtant les connaissances réelles ont-elles dû s’établir ? Je pose cette question pour qu’on s’habitue à considérer la filiation nécessaire des choses, qui est le nœud de l’histoire. Évidemment elles ont dû s’établir par ce qu’il y avait de plus simple et de plus accessible, de plus immédiatement soumis a l’observation, c’est-à-dire par le système osseux. Aussi dans Hippocrate, à côté de cette anatomie dont j’ai exposé la pauvreté, trouve-t-on des notions profondes sur les os, les articulations, leurs usages, — notions dont il a tiré le plus heureux parti pour la pathologie chirurgicale dans ses beaux livres des Fractures et des Articulations. Ces notions profondes sur l’ostéologie ne doivent donc aucunement surprendre, et a priori, la loi de l’histoire étant connue, on peut déterminer que par ce point a dû commencer l’anatomie positive.

Peut-être au premier abord quelques personnes seront-elles disposées à croire que la dissection n’offre aucune grave difficulté, et que, tenant une partie par un bout, il est facile d’arriver avec le scalpel à l’autre, d’isoler ainsi les organes, et d’en déterminer la situation et la forme. Il n’en est rien pointant, et le fait seul de la lenteur avec laquelle l’anatomie s’est perfectionnée suffit pour montrer que les difficultés étaient réelles. Et en effet quel obstacle, si ce n’est un obstacle, invincible, aurait empêché des gens intelligens, curieux, résolus comme Hippocrate, de pénétrer plus avant dans ce dédale, et par exemple, prenant une veine quelconque, de descendre, aux extrémités, de remonter aux troncs, traçant ainsi l’arbre entier du système veineux ? Et voyez quelles idées différentes de la réalité s’en faisaient les hommes d’alors. Ayez d’abord dans la pensée qu’ils n’ont aucune notion de l’usage de ce système veineux qui est de rapporter au poumon le sang transmis par les artères et usé dans le trajet ; donc ils vont se faire des notions prises pour la plus grande part dans leur imagination, pour une petite part dans quelque fait isolé, mais incomplet, notions qui dès lors les guideront dans leurs dissections. Voici quelles étaient les opinions des hippocratiques sur l’origine des veines ; je dis les opinions, car on en distingue quatre différentes dans la collection qui porte le nom d’Hippocrate. Suivant les uns, le cerveau était l’origine des veines, qui