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substance semble souvent déterminer seule l’arrangement de ses atomes. Souvent un même fait peut donner lieu à trois ou quatre explications qui toutes satisfont aux lois de la chimie dualistique[1]. Chaque chimiste suit une méthode particulière, et la confusion règne souvent dans la classification d’un seul et même auteur. C’est à ces inconvéniens que M. Laurent a prétendu, non sans raison, porter remède. Dans la multitude de formes qui toutes peuvent servir à représenter un corps dont l’analyse a fait connaître la composition, il a voulu rechercher celle qui, dans l’état actuel de la science, mérite d’être préférée comme offrant le plus d’avantages pour le classement et l’étude pratique des corps composés. Son but a été d’aider les chimistes à se faire comprendre, non pas seulement des autres, mais d’eux-mêmes.

Parmi les preuves que M. Laurent oppose à ses adversaires, la plupart, les meilleures peut-être, sont tirées d’une science nouvelle et peu connue, la cristallographie. On sait que les formes des corps solides sont loin d’être arbitraires, et que toutes les substances prennent d’elles-mêmes, sans le secours de l’art, une figure constante et déterminée, toutes les fois qu’elles passent librement de l’état liquide à l’état solide. De toute antiquité, cette tendance à se solidifier d’après certaines règles, à cristalliser, a été connue. Ainsi Pline a décrit la forme du quartz et de quelques autres substances. Linnée essaya de trouver des relations entre la forme d’un corps et sa composition. Plus tard, Rome de l’Isle, Bergmann et Gahan mesurèrent les angles que font entre elles les diverses faces d’un même cristal, et vérifièrent leur constance. L’abbé Haüy enfin créa avec leurs observations détachées une science précise et méthodique, dont la chimie emprunte à chaque instant le secours. La forme est tellement inhérente à chaque substance, que si l’on brise un cristal avec un marteau, les morceaux présentent les mêmes angles et les mêmes

  1. Je ne voudrais pas abuser ici des formules chimiques. En voici cependant une, empruntée à la chimie minérale, qui fait sauter aux yeux les moins exercés quelques-uns des défauts de la théorie actuelle. On sait que l’on représente les corps par les premières lettres de leur nom, et que l’O signifie oxygène, H hydrogène, Al aluminium ; etc. Le chiffre placé à droite indique le nombre d’atomes du corps simple nécessaires pour former la molécule du composé. Eh bien ! il existe un silicate dont la formule, indépendamment de toute hypothèse, serait : Si13 O81 Mg21 Al4 H30 ; on discute si les atomes ont cet arrangement :
    (11 Si O3 +21 Mg O) + 2 (Si O3 + Al2 O3) + 15 H2 O,
    ou cet autre :
    7 (Si O3 + 3 Mg O) + 2 (2 SiO3 + Al2 O3) +15 H2 O.
    On s’est arrêté à celui-ci :
    [3(SiO3+3Mg O) + 2 (Si O3’+Al2 O3) + 3 H2 O] + 4 [ (2 Si O3 + 3 Mg O)+ 3 H3 O]
    N’y a-t-il pas là une complication incompatible avec la vérité, et les théories en déclin ne sont-elles pas les seules qui invoquent tant d’hypothèses à leur secours ?