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nouveau marié semble avoir eu une de ces âmes saugrenues qui voient toutes choses sous un jour faux, et qui ont un goût prononcé pour l’absurde. Il admirait l’Afrique avec candeur et sincérité. Le peuple nègre était son peuple idéal, comme pour d’autres le peuple grec ou le peuple italien. Les femmes lui semblaient belles, la cuisine délicieuse, la musique le jetait dans l’extase. Edward Joseph était devenu tellement amoureux, qu’il en perdait le sommeil, et tel était son amour pour la civilisation nègre, qu’il exigea que son union avec la princesse fût célébrée avec toute la splendeur de la vie élégante et princière de l’Afrique. Il envoya donc, selon l’habitude, une ambassadrice suivie d’une escorte féminine pour demander en mariage la belle Coomba. Les présens se composaient de deux cruches de rhum pour le peuple du prince Yungee, d’une pièce d’étoile de coton bleu, d’un baril de poudre et d’une cruche de rhum pour le prince, enfin de dons symboliques, tels qu’une mesure de riz blanc, un mouton blanc, un voile blanc, et d’articles de toilette pour la fiancée. L’ambassadrice ; revint et annonça à Joseph que sa demande était acceptée, que le fétiche avait été consulté et qu’il avait permis que la fiancée fut remise à son seigneur le dixième jour de la nouvelle lune.

Au jour prescrit, Joseph, Canot et leur suite, protégés par de larges sombreros et de larges parasols, se rendirent au bord de la rivière pour attendre la fiancée. Les bateaux qui la portaient ne tardèrent pas à paraître ; mais dès que l’escorte fut débarquée, un murmure bizarre, semblable au babillage d’une troupe de singes, se fit entendre. La raison de ce murmure fut bientôt découverte ; le fiancé avait oublié de faire étendre des tapis tout le long du chemin qui conduisait du rivage à la maison nuptiale, afin que le pied virginal de la mariée ne foulât point la terre nue. Joseph s’excusa de son mieux, allégua son ignorance des usages du pays : rien n’y fit, l’escorte s’obstina à exiger les tapis. Joseph trancha habilement la question en disant que, puisque l’ambassadrice avait négligé de l’informer de cet usage, elle devait réparer la faute en transportant la princesse sur son dos. À ces mots, les applaudissemens éclatèrent, et la procession se mit en marche au son ou plutôt au bruit du tam-tam et des cornes. La princesse Coomba fut déposée dans la demeure de son époux, dépouillée de son vêtement blanc et livrée à l’admiration des spectateurs, puis, lorsque toutes ces cérémonies plus ou moins indécentes furent achevées, le public se retira, les portes furent closes ; une longue perche fut plantée devant la demeure des époux, et sur cette perche le vêtement blanc de la mariée, flottant comme un drapeau, indiqua aux populations avoisinantes que les