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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 janvier 1855.

Il est dans la destinée de cette grande et terrible question qui se débat sur les champs de bataille et dans les conseils de la diplomatie de faire passer l’Europe par toutes les phases, par toutes les complications qu’engendre naturellement une crise où sont en jeu tous les rapports généraux des peuples et leur sécurité commune. Née presque à l’improviste, sans qu’on put pressentir bien distinctement encore ce qu’elle cachait, elle a grandi jour par jour sans que la modération la plus éclatante de la part de l’Occident ait pu en tempérer les effets. Dernière épreuve de cette paix de quarante ans qui n’est plus qu’un souvenir, elle a mis en présence tous les intérêts, toutes les tendances et toutes les forces. Cette alliance presque semi-séculaire, qui existait au nord, elle l’a déplacée en la transportant au sud de l’Europe, amenant par sa gravité même une sorte de remaniement moral du continent. Elle est devenue la raison d’être de tous les faits actuels. En ce moment encore, elle provoque en Angleterre une crise ministérielle qui n’a d’autre motif que la direction de la guerre ; elle place la confédération germanique sous la menace d’une scission redoutable, et elle prépare le ralliement de tous les peuples restés neutres jusqu’ici à la politique européenne par l’accession libre et active du Piémont à l’alliance de la France et de l’Angleterre. Ainsi plus on va, plus cette question s’agrandit et s’étend, exerçant son influence sur toutes les situations, et variant ses effets jusqu’à ce qu’elle finisse par déchirer tous les voiles et par contraindre toutes les irrésolutions à faire un choix. S’il fallait une démonstration palpable de ce qu’il y a eu de sage et ferme prévoyance dans l’initiative prise par les grands cabinets de l’Occident, elle se trouverait dans les événemens mêmes. Sans anticiper sur le résultat de la lutte, on peut dire que la Russie s’est trompée étrangement. Elle n’a point vu que tout se tenait, qu’en risquant sa grande aventure en Orient, elle exposait aussi la prépondérance ! qu’elle s’était si habile-