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quer en effet : le rang et la position d’une grande puissance ne sont pas un mot sonore, une dignité oisive. Les droits qu’une grande puissance est fondée à revendiquer et à exercer sont exactement dans la mesure des engagemens qu’elle est prête à contracter et des efforts qu’elle est disposée à faire pour soutenir ses engagemens. Or qu’a fait la Prusse depuis un an ? Toujours on l’a vue essayant de pénétrer partout et mettant toujours toute sa politique à parler sans agir, à conserver une sorte d’irresponsabilité, à bien constater qu’elle ne s’engageait à rien. La Prusse invoque le traité de 1841, qu’elle a signé. Elle a figuré en effet dans cette convention, qui est malheureusement le seul lien par lequel l’état de l’Orient se rattache à l’équilibre européen ; mais ce traité de 1841 lui-même, qu’a fait le cabinet de Berlin pour le défendre, pour maintenir sa force, pour faire prévaloir son esprit au moment du danger ? Qu’importe que, la Prusse ait pris part à celle transaction comme grande puissance, si elle n’est point conséquente avec sa position, avec ses engagemens, si elle n’a point rempli ses obligations anciennes, de même qu’elle se refuse à remplir ses obligations plus récentes ? La Prusse ne saurait prétendre devoir à l’inaction ce qui pour d’autres est le prix des plus sérieux sacrifices ou d’une politique très décidée. Cela est cruel à s’avouer sans doute, quand on descend du grand Frédéric : la Prusse est hors des négociations, tant qu’elle n’aura pas du moins accepté les obligations d’une grande puissance : mais à qui la faute de cette extrémité, si ce n’est à elle-même ? Et que veut dire aujourd’hui le cabinet de Berlin, quand il parle de sa résolution inébranlable de maintenir sa position et son influence dans les grandes affaires de l’Europe ? Fera-t-il la guerre pour soutenir son droit de coopérer aux négociations ? Qu’on ne s’y trompe pas, ce serait tout simplement préparer une alliance avec la Russie ; ce serait aussi pour la Prusse le désaveu d’une politique qu’elle a sanctionnée en principe, si elle n’a voulu rien faire pour elle, et en définitive ce serait une amende honorable entre les mains de la Russie, dont elle aurait irrévocablement accepté la suzeraineté, et qui la recevrait à résipiscence avec hauteur. L’empereur Nicolas lui ferait adresser des lettres de félicitation pour sa bonne conduite, comme au duc de. Mecklembourg. Cherchera-t-elle encore à se maintenir dans cette neutralité qui la met à une égale distance de tout le monde ? Il est bien clair que cela n’est plus possible aujourd’hui. La Prusse finira-t-elle par se rattacher décidément et franchement à la politique européenne ? Il n’y a point pour elle d’autre moyen de retrouver cette position de grande puissance qu’elle a compromise, et qu’elle aurait pu si aisément conserver. Là est aujourd’hui le problème de la politique allemande. Si la Prusse a pu nourrir la pensée secrète, en se séparant de l’Autriche et en préparant le déchirement de la confédération, de faire revivre son rêve de l’union restreinte de l’Allemagne du nord, le rôle qu’elle a joué en 1850, les cruelles déceptions que lui Infligea la politique du prince de Schwartzenberg ne sont peut-être pas de nature à l’encourager beaucoup.

Cette décision que n’a point su avoir le cabinet de Berlin, un gouvernement qui n’y était point obligé l’a eue : c’est le gouvernement piémontais. Si la Prusse n’arrive enfin à adopter une politique plus conforme aux intérêts de l’Europe et à son propre intérêt, elle aura montré sans le vouloir comment