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aspect triste et abandonné, abandonné comme le furent au bord des marais, suivant les vieux récits, les enfans dont on croit presque, dans le crépuscule, entendre les vagissemens. En vérité, l’imagination n’a pas trop de peine à se représenter les arbres aquatiques et les grands roseaux que baignait l’eau que voilà, et à travers lesquels se glissait vers cette heure la louve qui venait boire à cette eau. Ces lieux sont assez peu fréquentés et assez silencieux pour qu’on se les figure comme ils étaient alors, quand ils n’offraient que des solitudes désertes. Vastœ solitudines erant.

En réalité, Romulus fut un pâtre hardi, fort semblable à ceux qui, près d’ici, après un mauvais coup, s’en vont à la montagne. Cet homme résolu s’empara du Palatin où paissaient les troupeaux du roi, j’aimerais presque mieux dire du seigneur d’Albe. Des outlaws s’étaient réfugiés sur le Capitole, qui s’appelait alors le mont de Saturne. Probablement Romulus n’ouvrit point cet asile, qui s’était formé avant lui sous la protection de Saturne, dieu des esclaves et des misérables. Le droit d’asile dans l’antiquité appartenait aux temples et aux lieux sacrés, comme dans l’Italie moderne il appartient aux églises et aux couvens. Il n’y a là rien d’impossible, et on aime à croire que Rome fut d’abord un asile, car elle a toujours été un refuge pour les infortunes et comme l’asile du monde. Ces réfugiés, ces proscrits, hommes de la trempe des galériens échappés qui habitent aujourd’hui l’asile du Campo-Morto, placèrent Romulus à la tête de leur bande et commencèrent à piller les troupeaux du voisinage. Il fallait un lieu pour mettre en sûreté les hommes et le butin, et ainsi une ville pareille à celles qui étaient perchées sur les autres collines fut fondée sur le Palatin. Rome existait. La cime du Capitole qui est en face du Palatin, qui s’appelait et s’appelle encore le rocher tarpéien, fut, pour les habitans de la Rome primitive établie sur le Palatin, la citadelle, ce que les Romains appelaient arœ et les Grecs acropolis, lieu élevé et en général, dans les temps anciens, situé hors de la ville pour la protéger. C’est ce qui se voit à Fidènes, à Veies, à Cære comme à Athènes. Ainsi la ville sur le Palatin, la citadelle sur le rocher tarpéien, voilà toute la Rome de Romulus.

Il en reste parmi le peuple des traditions merveilleuses. Niebuhr a trouvé sur la roche tarpéienne une petite fille qui lui a raconté avec beaucoup de grâce l’histoire de la belle Tarpeïa, habitant l’intérieur de la montagne et entourée de trésors et de bijoux : souvenir évident des colliers promis par les Sabins à la Tarpeia de Tite-Live. Pour moi, j’ai été moins heureux : je n’ai jamais rencontré là que d’effrontées et opiniâtres petites mendiantes qui certainement ne savaient rien de la belle Tarpeia.