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sabin qui gouverne les deux peuplades, je ne puis me résigner encore à dire les deux peuples, c’est-à-dire une poignée d’hommes établis sur le Palatin et un certain nombre de Sabins établis sur le Quirinal. Ce n’est pas cette colline seulement qui Porte le nom national des Sabins. Ce nom (Quirites) est imposé aux Romains. N’y a-t-il pas là une preuve de la supériorité qu’ont prise sur eux leurs ennemis ? Les Gallo-Romains ont fini par s’appeler des Français et les Bretons des Anglais, parce que les Francks et les Angles, avec leurs alliés, étaient les vainqueurs et les maîtres du pays. Cette preuve suffirait, quand Servius ne nous dirait pas expressément que dans l’antiquité les vaincus prenaient le nom des vainqueurs. Les Romains s’appelleront donc Quirites, c’est-à-dire Sabins. Pour eux, le droit sabin, jus quiritium, sera le droit civil par excellence, l’optimum jus, le droit auquel il sera pour les populations de l’Italie le plus avantageux de participer. Il en était ainsi de la loi francke pour les populations de la Gaule. Ce n’est pas tout, Festus nous apprend ce fait singulier, que les Sabins désignaient les Romains par le mot verna (serviteur), qui s’est depuis appliqué aux esclaves. Enfin Romulus lui-même, après sa mort, perd son nom, qui était celui de son peuple, et c’est sous le nom de Quirinus (le Sabin) qu’il est adoré. Je le demande, le Quirinal ne l’a-t-il pas emporté sur le Capitole ? C’est le résultat de ce triomphe qu’il faut voir dans le règne de Numa[1].

Il ne reste aucun monument de ce règne, qui fut véritablement l’empire des Sabins à Rome, car on ne peut faire remonter à Numa le nymphée, beaucoup plus moderne, auquel on a donné le nom de Fontaine de la nymphe Egérie. Ce lieu charmant, que connaissent tous les voyageurs, et qui a inspiré à lord Byron des vers délicieux, ce gracieux vallon, dominé par un bouquet d’arbres qu’on dirait le reste d’un bois sacré, n’est certainement pas celui où les anciens plaçaient les entretiens mystérieux de la divine conseillère et du sage roi. La véritable fontaine de la nymphe Egérie était moins éloignée de la maison de Numa, du moins à en croire la tradition, qui plaçait celle-ci près du Forum. Cette fontaine se trouvait dans l’enceinte actuelle de Rome, au pied du mont Cœlius, nous le savons par Juvénal. Juvénal, en attendant près de la Porte Capène la voiture qui doit l’emmener, s’amuse à décrire la source limpide, et avec un sentiment des beautés naturelles qu’on attendrait mieux de Byron et qui pourrait presque s’appeler romantique, le satirique romain regrette que

  1. Cette thèse de l’assujettissement des Romains par les Sabins après Romulus a été déjà soutenue par le savant professeur Orioli. J’ai ajouté aux argumens que M. Orioli a tirés de l’histoire ceux que l’aspect des lieux m’a fournis.