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se compose cette page sont empreintes d’une effrayante réalité, et pour que rien ne manque à l’austérité de la leçon, la chambre où gît le vieillard perclus est la chambre même où le poète enfant a connu l’espérance et la joie, les douceurs de l’étude et la paix du sommeil.

Tous les esprits attentifs qui aiment à suivre les métamorphoses de l’intelligence noteront d’un doigt diligent la pièce adressée à une femme que le poète n’a pas nommée, mais dont le souvenir est demeuré gravé dans son cœur, qu’il a aimée d’un amour profond et sincère, dont il a respiré l’haleine, mais qui lui échappe après quelques jours d’un bonheur enivré. Nous sommes bien loin de Marie, bien loin des naïfs épanchemens qui nous ont enchantés. La peinture de ce bonheur fugitif, si cruellement payé par une subite solitude, n’est pourtant pas moins vraie que le premier tableau qui a révélé le nom de M. Brizeux à la foule étonnée. Au milieu des bruits de la grande ville comme à l’ombre du courtil, je retrouve une âme sincère qui avoue ses fautes comme ses souffrances.

Toutes les pièces inspirées par l’Italie se recommandent par une exquise délicatesse ou par une grandeur pleine de simplicité. Toutefois je m’explique très bien pourquoi ces pièces, malgré le mérite éminent qu’elles possèdent, n’ont pas excité la même sympathie que le poème de Marie. Elles s’adressent en effet à ceux qui connaissent l’Italie, qui l’ont étudiée avec un soin amoureux, plutôt qu’à la foule. C’est un memento plein de charme pour ceux qui ont visité la terre où l’oranger fleurit; ce n’est pas une révélation pour ceux qui n’ont pas foulé cette terre bien-aimée. Et puis, s’il faut dire toute ma pensée, M. Brizeux, en nous parlant de Naples et de Rome, de Florence et de Pise, n’a pas compris tous les dangers de l’extrême concision. Il se fie trop à la pénétration de ses lecteurs : c’est là sans doute une politesse dont nous devons lui savoir gré; mais il n’a pas le droit de s’étonner qu’elle n’ait pas été généralement comprise. Il se plaît à enfermer un grand nombre de pensées dans un petit nombre de mots. C’est à merveille, et je l’en remercie, l’exemple est excellent. Je suis forcé pourtant d’avouer qu’il abuse parfois de la concision. A proprement parler, les souvenirs italiens de M. Brizeux ne sont guère intelligibles que pour ceux qui peuvent les rapprocher de leurs souvenirs personnels. C’est dans ces limites que j’entends restreindre la portée de mes reproches. Malgré la haute estime que m’inspire la Fleur d’or, je comprends sans peine qu’elle n’ait pas réuni de nombreux suffrages, car elle ne peut guère émouvoir que les artistes et les lettrés. Il faut avoir vécu dans le commerce familier de Dante et de Pétrarque pour sentir tout ce qu’il y a d’exquis et de vrai dans ces charmans souvenirs. M. Brizeux, tout entier aux émotions qu’il éprouve, écrit d’abord pour lui-même et pour ses amis,