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de Brutus rend pleine justice à ses ennemis. Il rencontre le sublime sans le chercher, et s’élève jusqu’à la plus haute poésie tout en croyant ne transcrire que ses souvenirs personnels. Sans effort, à son insu, je le crois du moins, il est tout à la fois l’Achille et l’Homère de son iliade. Ce n’est pas que Jules César fût étranger aux artifices de la parole : tous les écrivains de l’antiquité qui se sont occupés de lui sont unanimes à déclarer qu’il avait étudié avec un soin assidu les secrets les plus savans de l’éloquence; mais il est permis de croire que le sentiment des grandes choses accomplies par son épée, je dis grandes et non pas justes, dominait en lui l’ambition littéraire. J’aime donc à penser qu’en racontant la conquête des Gaules il songeait à la gloire de son armée bien plus qu’aux applaudissemens des beaux-esprits de Rome. Je prends pour vraie, pour fidèle, pour littérale, la relation de sa campagne contre les Bretons, et je me demande si M. Brizeux n’eût pas trouvé dans le journal militaire de Jules César l’étoffe d’une admirable épopée. Ce n’est pas à moi qu’il appartient de répondre. Tous ceux qui ont étudié les souvenirs du grand capitaine savent à quoi s’en tenir sur les matériaux que le guerrier offrait au poète. Il est vrai qu’une épopée où le bon droit ne triomphe pas, où la justice est terrassée par la force, blesse toutes les âmes délicates; mais cette blessure n’est pas de celles qui refusent de se fermer, car l’avenir appartient au bon droit, et le triomphe de la force n’est jamais qu’un triomphe éphémère : M. Brizeux ne l’ignore pas. Il sait, comme tous les bons esprits, que tôt ou tard le règne de la justice arrive. L’histoire tout entière est là pour démontrer que le châtiment ne manque jamais à ceux qui voient dans le succès la consécration de leur volonté, sans tenir compte des peuples écrasés. La parole de Lucain sur Caton est empreinte d’une éternelle vérité, pour peu qu’on sache l’interpréter. Quand la cause victorieuse semble plaire aux dieux et que la cause vaincue plaît à Caton, tôt ou tard l’histoire donne raison à la cause vaincue. Je crois donc que la campagne de Jules César contre les Bretons, malgré la tristesse du dénoûment, offrait au poète un sujet vraiment épique. M. Brizeux n’est sans doute pas du même avis, puisqu’il n’a pas cherché dans cet épisode la matière de son poème.

Après Jules César, il se présente une autre source poétique pour ceux qui veulent célébrer la grandeur des origines armoricaines, source familière à tous les érudits, la grande histoire de dom Lobineau. Ce recueil ne se recommande ni par l’habile distribution des faits, ni par l’élégance du style, et si je lui donne le nom de recueil, c’est qu’en effet c’est plutôt un amas de matériaux qu’un véritable édifice. Mais quelle prodigieuse variété de documens, quel trésor de légendes, quelle richesse de traditions, depuis les récits