Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’organisation sociale ; de son temps, rien n’était prêt pour la solution, il ne put que montrer la rectitude de Son jugement, la puissance de son esprit, et écrire ce qui, après avoir été un aliment pour tant de générations, a perdu enfin cet office et pris désormais celui de document impérissable de l’histoire scientifique. Le procédé de comparaison employé par Aristote menait non pas à créer l’anatomie générale, mais à voir comment un même appareil et par suite une même fonction se modifient dans la série vivante pour s’accommoder aux circonstances diverses de l’être. Ainsi, par exemple, c’est la comparaison qui nous apprendra ce que devient l’appareil respiratoire dans les mammifères, dans les oiseaux, dans les reptiles, dans les poissons ; en un mot, par elle nous saurons toutes les conditions auxquelles l’organisation est assujettie, comment la vie se fait jour entre les nécessités imposées par les lois du monde inorganique où elle est implantée et la force qui lui est inhérente, comment, obligée, pour durer, d’absorber l’oxygène, elle transformera l’organe respiratoire, suivant que ce gaz est dans l’air ou dans l’eau. C’est la comparaison qui, de déduction en déduction, a suggéré la conception de la hiérarchie des êtres vivans ; mais, pour porter tous ses fruits, elle avait besoin d’être assise sur l’anatomie générale, qu’elle ne pouvait fournir. Aussi la tentative d’Aristote, qui, toute grande qu’elle fut, ne dépassait pas les connaissances de son temps, ne devait point avoir de suites immédiates, non plus que la doctrine qu’il établit dans son traité De l’Ame, et où il touche de bien près les propriétés essentielles à la matière vivante. Il ne lui manque qu’une chose pour y arriver : mais cette chose est justement ce qui devait occuper tant de siècles et demander tant d’acquisitions préparatoires : c’est de rapporter à des élémens déterminés les propriétés qu’il entrevoit. Ne le pouvant, attendu que ces élémens n’étaient pas connus, sa conception, toute réelle qu’elle est, rentre dans ces vues avancées que la science du temps n’a aucun moyen de prouver. C’est ainsi, je le répète, que les savans qui, dans l’antiquité, croyaient que la terre tournait autour du soleil, disaient vrai sans pouvoir prouver et établir ce qu’ils disaient. Par ce côté aussi on aperçoit ce qui est la base de toute biologie positive, à savoir le, rapport entre la propriété et la texture. Voyez Aristote : il touche un des côtés, mais l’autre lui demeure inconnu, et par le fait tout lui échappe.

Je me suis, je pense, expliqué jusqu’à ce moment d’une manière assez précise pour qu’on ne se méprenne pas sur le but de la biologie. Ce but est non pas de montrer ce qu’est la vie en soi, mais de montrer quelles sont les conditions de la vie. Ce sont deux ordres d’idées tout à fait différens : le premier appartient à l’enfance de la science, le second à sa maturité. On entend des hommes même éclairés