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O désespoir ! l’aigle déploie de nouveau ses ailes et s’élève dans les airs. Malédiction sur moi ! Il a, de ses serres avides, saisi le drapeau de la Suède; il en a arraché un lambeau que je vois, dans sa serre, se débattre au vent, jusqu’à ce que le fier oiseau disparaisse au milieu des nuages. »

En effet, Charles XII laissa la Suède mutilée. A son avènement, elle était encore toute-puissante dans la Baltique; elle avait éloigné de ses côtes la Pologne rivale qui devait bientôt périr; les entreprises hardies de Charles X Gustave avaient reconquis les provinces méridionales de la presqu’île scandinave et réduit le Danemark au simple rôle de gardien du Sund; la Prusse était encore au berceau, et les provinces de la Baltique méridionale, ainsi que la Finlande, étaient possessions suédoises. La défaite de Pultava ne laissa presque rien subsister de cette grandeur. Pressée de mettre un terme aux désastres de la guerre, la Suède conclut la paix en 1721, après avoir réformé sa constitution intérieure. Le traité de paix cédait à la Russie la Livonie, l’Ingrie, l’Esthonie et la Carélie; la réforme de la constitution substituait une dangereuse oligarchie à une royauté souveraine et livrait le pouvoir aux intrigues d’une noblesse égoïste, non contenue par l’ascendant des classes moyennes, dont l’avènement à la vie politique ne devait être dans le Nord qu’un des résultats de la révolution de 1789. Non contente d’acquérir ainsi une place entre les puissances riveraines de la Baltique et un premier boulevard en avant de sa capitale, la Russie, éclairée par sa convoitise, avait nettement compris que l’anarchie qui devait bientôt résulter des changemens survenus dans le gouvernement de la Suède lui offrirait une favorable ouverture pour pénétrer, à l’aide de la corruption et de l’intrigue, dans les affaires intérieures de ce pays. Elle associa à ses projets la puissance nouvelle, mais déjà ambitieuse, de la Prusse, dont le mouvement de retraite de la Pologne et de la Suède allait si rapidement fonder la grandeur, et dont la Russie pouvait récompenser le concours aux dépens des possessions suédoises en Allemagne, tandis qu’elle-même s’agrandirait sur les bords de la Baltique orientale. Unies par leurs intérêts communs, les deux puissances imposèrent à la Suède leur garantie en faveur de la constitution de 1720, et remplacèrent, pour arriver à l’exécution de leurs desseins contre un voisin dont elles voulaient se partager les dépouilles, la guerre ouverte par les plus ténébreuses et les plus perfides menées.

La Russie se chargea la première de procurer un facile essor aux germes de discorde contenus dans la constitution de 1720; les dissensions entre les bonnets et les chapeaux, pendant l’époque dite de la liberté (frihetstiden), qu’on appellerait plus justement l’époque