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étaient mêlées. Amour de la liberté, indépendance des peuples, haine du despotisme, ces mots magiques retentirent sous la tente solitaire de l’officier finlandais; son esprit s’échauffa peu à peu au spectacle de cette mystérieuse et sévère nature du Nord, et il rêva de rendre l’indépendance à la Finlande en la séparant de la Suède. C’était, sans parler de la bizarrerie d’un tel projet, une triple faute : une ingratitude envers la Suède, que la Finlande aimait et à qui elle était redevable de toute sa civilisation moderne; une témérité compromettant la prospérité intérieure et les institutions de la Finlande; une imprudence impardonnable enfin en présence des prétentions et des espérances de la Russie. Cependant la raison disparaissait derrière les illusions du jeune républicain. Il venait de faire un voyage en France, il avait admiré Franklin; il voulait devenir le Franklin et le Washington de la Finlande. Il commença par briser l’épée qui faisait de lui, homme libre, le serviteur d’un roi. Il réunit quelques amis jeunes et ardens, que séduisit l’étrange écho de la France du XVIIIe siècle parmi les lacs et les forêts de la Finlande, aux portes mêmes de la Russie. Ils formèrent un club où les Finlandais étonnés les entendirent développer les doctrines de Rousseau et disserter sur les devoirs des rois et les droits des peuples (mai 1780). C’est là que Sprengtporten exposa ses idées sur l’indépendance qu’il fallait rendre à la Finlande. Il les appuya par une foule de petites publications contenant des satires et aussi des calomnies contre la Suède, contre son gouvernement et son roi, et il attendit que le mécontentement fût assez général pour appeler les Finlandais à une révolte ouverte. Si elle réussissait, on offrirait la couronne, par une singulière inconséquence, à un duc de la famille royale de Suède. Voilà quel était le projet incohérent du baron Sprengtporten. L’occasion parut favorable à la Russie, qui jugea que l’auteur insensé d’un tel complot ne serait pas difficile à séduire et deviendrait un instrument docile. Elle lui fit offrir sous main des secours; le soulèvement projeté pourrait s’appuyer sur le concours d’une armée russe, qui s’approcherait à cette occasion de la frontière et la franchirait au besoin. Sprengtporten accepta, autre inconséquence indigne d’un si chaleureux ami de la civilisation et de la liberté, et qui trahissait en lui beaucoup d’inexpérience politique, ou bien un penchant vers la Russie plus fort que son prétendu dévouement pour l’indépendance de la Finlande, et surtout inconciliable avec les idées qu’il croyait servir. La Russie n’attendait pas le succès immédiat; elle n’avait voulu que préparer à l’avance la réunion de la Finlande à ses vastes possessions. Après qu’un échec inévitable eut réduit Sprengtporten à se réfugier à Saint-Pétersbourg, on l’y combla de faveurs, en retour desquelles il engagea son dévouement. On le vit accepter finalement, avec beaucoup