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il se fit transporter à Viborg et se mit au lit, où ses gens lui bandèrent et lui frottèrent le pied tout le jour. La nuit, moins résolu que Charles XII, qui, lors de sa feinte maladie à Bender, garda le lit pendant dix mois, le baron de Schwerin se levait, et, sous un déguisement, prenait un peu d’exercice en se promenant dans les quartiers les plus éloignés du centre de la ville. Quant à la conduite que devait tenir le gouvernement suédois, le régent fut d’avis qu’il ne fallait pas tirer le canon pour si peu, et qu’on devait répondre à l’impératrice « comme un jeune homme répond à une vieille coquette, par le dédain. » On se contenta en effet de déclarer qu’on observerait envers la Russie les mêmes rapports qu’elle-même venait d’établir, et que d’ailleurs cette puissance n’avait rien à voir dans les alliances que le roi de Suède jugerait utile de conclure dans l’intérêt de son peuple, ou en vue de son bonheur personnel.

Cependant Catherine II, partout ailleurs victorieuse, n’acceptait pas avec résignation pour ses dernières années cet échec humiliant. Ne voulant pas renoncer à l’exécution d’un projet qu’elle avait si longtemps caressé, elle reprit ses intrigues. L’argent, les menaces ou les promesses parurent la faire triompher encore une fois, mais ne firent en réalité que lui préparer le plus amer affront. Sur ses instances, une renonciation fut négociée par la cour de Suède avec celle de Mecklembourg malgré la douleur de la princesse Louise-Charlotte, car le jeune roi était aimé déjà de ses deux fiancées; toutes deux avaient même appris le suédois en témoignage de leur complet dévouement. On publia en Suède que Gustave ne devait pas être marié avant sa majorité, et bientôt, au grand étonnement de toute la cour, le régent consentit à ce que son pupille fît le voyage de Saint-Pétersbourg, suivant la demande de l’impératrice. Il voulait sans doute montrer par là que le prince était après tout libre dans son choix et dans sa conduite. Gustave et le régent trouvèrent auprès de la rusée Catherine l’accueil en apparence le plus cordial; à peine toucha-t-elle quelques mots du mariage. « Si, comme on le disait, ces deux enfans s’aimaient déjà, on aviserait aux moyens de faire leur bonheur. » En secret, elle comptait bien que ni le roi ni le régent ne résisteraient aux charmes de la jeune princesse et aux séductions qu’elle s’apprêtait à multiplier autour d’eux.

Gustave, accompagné de son oncle et d’une suite nombreuse, était arrivé à Saint-Pétersbourg au milieu d’août 1796. Il descendit chez M. de Stedingk, son ambassadeur. Dès la première visite entre les deux souverains, qui se fit à l’Ermitage, l’impératrice exprima son admiration pour le prince et déclara qu’elle en était elle-même presque amoureuse. L’entrevue entre les deux fiancés, l’un de dix-huit et l’autre de quatorze ans, fut plus intéressante encore. Ils étaient