Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/790

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis longtemps sans aucun doute disposés à s’aimer, et, sous l’embarras naïf de leur contenance, on crut deviner que tous deux se trouvaient dignes de leurs mutuels sentimens. Les fêtes les plus brillantes que l’impératrice ou les riches seigneurs de sa cour purent imaginer furent prodiguées en faveur des hôtes dont la présence rajeunissait la vieille Catherine ; mais le luxe barbare de la Russie était-il bien fait pour séduire un fils de Gustave III ? Catherine prétendait modeler sa cour sur celle de Versailles et de Trianon, et lorsqu’il y avait, suivant le style officiel, grand Ermitage, elle faisait représenter des pièces françaises où les principaux seigneurs moscovites remplissaient les premiers rôles. Tous ces efforts pour introduire à sa cour une politesse dont elle était jalouse n’avaient réussi qu’à accumuler autour d’elle une magnificence grossière. Cette souveraine, qui élevait à force de millions des palais de marbre à ses insolens favoris, conviait inutilement dans ses châteaux l’élégance et le goût. Ces privilèges d’une civilisation délicate se trouvaient incompatibles avec le stupide orgueil de courtisans pareils à ce potemkin qui ornait ses bibliothèques de billets de banque reliés en manière de volumes.

Cependant l’impératrice ne perdait pas de temps. Gustave paraissait charmé par la jeune grande-duchesse ; quant au régent, à voir son peu d’efforts pour éloigner son pupille d’une cour corruptrice et d’une alliance qu’il redoutait naguère, on eût pu le croire gagné. Bientôt l’impératrice parla tout haut de l’exécution de son projet. Elle s’adressait au roi et à sa petite-fille comme à deux fiancés, et les fit même un jour se donner en sa présence un premier baiser. Le seul article qui semblât présenter quelques difficultés pour la conclusion de cette alliance était celui de la religion. Catherine, qui craignait d’offenser son clergé et de blesser la fierté nationale, insista peu sur ce sujet, soit qu’elle fût persuadée que le roi de Suède et le régent n’y feraient pas une grande attention, soit dans l’espoir de gouverner plus sûrement encore la Suède par les popes et chapelains de l’église grecque qui accompagneraient la grande-duchesse à Stockholm. Le roi d’ailleurs avait donné à entendre que, pour respecter lui-même les scrupules religieux de la nation russe, il n’exigerait pas de la princesse une abjuration formelle. Des deux côtés, on s’abstint de montrer d’avance trop d’opiniâtreté sur ce sujet. Gustave y apportait de la réserve, Catherine de la ruse. On laissa aux deux ministres Zoubof et Markof le soin de disposer le contrat le plus promptement possible. L’ambassadeur de Suède fut chargé, avant la rédaction définitive, d’adresser officiellement la demande. Le jour et l’heure des fiançailles furent aussitôt fixés, et le 10 septembre 1796 Catherine crut toucher enfin au triomphe qui lui avait échappé si