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derniers empereurs : il n’en deviendra que plus évident, à juger d’après les actes extérieurs de leur gouvernement, que ces maîtres si forts et si absolus en apparence sont emportés par l’esprit de barbarie et de conquête qui s’agite dans les populations placées au-dessous d’eux, loin de pouvoir les dominer ni leur imposer une civilisation qu’eux-mêmes connaissent et envient. Personne n’ignore que l’empereur Nicolas a tenté d’abolir le honteux servage qui prolonge la corruption de la Russie, et que la noblesse, dont les privilèges étaient ainsi menacés, l’a réduit à effacer son premier ukase par une ordonnance déclarant qu’on avait mal compris sa pensée !

La conquête russe ne saurait apporter nulle part aucun bienfait, tant que la Russie n’aura pas su, par un long travail intérieur, terminer l’œuvre de son éducation morale. La conquête russe est donc tout au moins stérile pour les vaincus et pour elle-même. Vainement elle a persécuté par le fer et par le feu, et au mépris de tous les droits les plus sacrés, le luthéranisme dans les provinces de la Baltique, le catholicisme en Pologne : la Pologne n’est devenue moscovite ni de cœur ni d’esprit, et la Livonie ou la Courlande n’ont rien apporté de nouveau qu’à cette Russie extérieure et apparente qui n’a rien de commun avec la vraie Russie. Indépendamment des dangers dont l’équilibre européen serait menacé par le rétablissement d’un empire grec sous la domination russe, la Turquie et la Grèce, soumises à cette domination, n’en seraient que plus éloignées de pouvoir entrer dans le concert européen. Quant à la Finlande, la dernière grande conquête de la Russie, aucun intérêt légitime n’autorisait les tsars à s’emparer de cette province, que pas un lien commun ne rattachait à leur empire, puisque sa population n’a pas une goutte de sang slave dans les veines, qu’elle est presque toute suédoise et luthérienne; de plus, les traités et leur parole solennellement jurée obligeaient les tsars à respecter cette province, et ils ont tout violé. Cependant il est certain, on doit le reconnaître, que son territoire, pouvant servir de boulevard à leur capitale, et son littoral étendu, précieuse pépinière de marins, étaient parfaitement à leur convenance. Pierre le Grand l’entendait bien ainsi, lorsque, dans cette curieuse pièce qu’on a intitulée son testament, et qui, loin d’être un écrit apocryphe, est extraite de l’édition russe de ses œuvres complètes en douze volumes, il prescrivait à ses successeurs d’affaiblir autant qu’ils le pourraient la Suède. La conquête de la Finlande devait achever le plan hardi qu’avait ébauché la fondation de Saint-Pétersbourg. Oui, après cette fondation, qui pouvait paraître une menace et un défi, le golfe de Botnie et la mer des Aland devenaient pour la Russie des frontières naturelles. Une fois qu’elles ont été acquises, la Russie a élevé cette prétention, que les ports septentrionaux de la Norvège, qui ne gèlent