Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous le rapport intellectuel et moral, de la société européenne. C’était un membre du corps scandinave que cette province toute suédoise; c’était, suivant la belle expression de Tegner, le bouclier que les Russes ont arraché tout sanglant du cœur de la Suède.

La politique de 1812 n’a pas exercé une réaction puissante contre le ressentiment national. Gustave IV s’était proposé de réparer la perte de la Finlande par la conquête de la Norvège. Bernadotte résolut d’exécuter ce dessein; il rêva l’union de toute la péninsule scandinave sous un même sceptre; il espéra que l’influence scandinave gagnerait en unité territoriale et politique ce qu’elle avait dû perdre en étendue. La Suède ne pouvait que le remercier de cette ambition, lui qui n’était pas coupable de l’échec qu’elle avait subi. Le secours de la Russie, ou du moins son assentiment, lui parut nécessaire pour rendre la réunion possible et durable; il sut le mériter, l’entrevue d’Abo entre les deux monarques se termina par ces paroles du tsar : « J’admire en tout votre conduite; moi et mes successeurs nous vous en tiendrons compte, soyez-en convaincu. » On sait à quel prix le tsar avait fait acheter son concours; mais la Norvège, indépendante avant et après la réunion, était-elle une vraie compensation pour la Suède ? Gustave IV ne l’avait pas pensé; il voulait y ajouter le duché de Mecklembourg ou quelque autre possession. D’ailleurs ce que la Suède se trouvait acquérir était perdu pour le Danemark; l’union Scandinave était donc vraiment mutilée, et l’Europe tout entière avait perdu encore un des boulevards qui la séparaient de la Russie.

L’histoire d’un siècle et demi nous a montré la Russie toujours attentive à préparer le démembrement de la Suède et toujours occupée à l’exécution de ses desseins contre ce royaume. Nous avons vu Gustave III sauver son pays de l’occupation prussienne et russe par la révolution de 1772, Gustave IV échapper d’abord par sa bonne étoile aux pièges que Catherine II lui avait tendus, mais la Finlande succomber enfin à la suite d’une attaque violente, qui, favorisée par les complications de la politique générale à cette époque, parvint finalement à accomplir un projet russe datant du règne même de Pierre le Grand, et dont le traité qui, après la mort de Charles XII, sacrifiait les provinces baltiques avait commencé déjà l’exécution. On concevra facilement que des hostilités si constantes, terminées par de tels revers, aient laissé dans le cœur des Suédois un souvenir amer contre la Russie. La dynastie que Bernadotte a placée sur le trône de Suède s’est profondément identifiée avec le peuple qu’elle était appelée à régir, cela est incontestable; mais on a dit qu’il serait possible, par les mêmes raisons que nous avons indiquées, qu’elle ne ressentît pas aussi vivement que le reste des