Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/804

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Suédois l’amertume et l’humiliation de leurs regrets. Disons plutôt qu’un roi qui, grâce à de grandes et rares qualités, en présence d’une constitution et d’une représentation défectueuses, s’est naturellement acquis, comme l’a fait le fils de Charles-Jean, une grande influence personnelle, effrayé par la responsabilité même qui lui incombe, se trouve moins prompt à disposer de la nation pour de périlleuses entreprises que ne le serait sans doute la nation elle-même, si elle était directement consultée. Il est pour nous certain que la Suède est animée, pour de longues années encore, d’un ressentiment implacable contre la Russie, et que par conséquent le gouvernement suédois ne pourra pas se déclarer dans la guerre actuelle contre les puissances occidentales. Cela semble incontestable pour qui a lu l’histoire, et l’est réellement pour qui connaît un peu l’état des esprits dans le Nord. Le Danemark et la Norvège, malgré quelques apparences contraires, se trouvent dans des dispositions absolument semblables. Il paraît d’ailleurs impossible que le gouvernement suédois, de toutes parts pressé par le sentiment public, qui rencontre un écho sympathique dans de nobles cœurs jusque sur les marches du trône, conserve longtemps une neutralité qui, indéfiniment prolongée, pourrait sembler une connivence. L’opinion publique en Suède se montre d’autant plus impérieuse et plus forte, qu’elle ne se fonde pas seulement sur une vieille inimitié, mais encore sur la conviction profonde que la domination russe, jusqu’à ce qu’une transformation féconde vienne changer le génie de cet empire, est contraire aux vrais intérêts de la civilisation. La solution que l’étude de l’histoire nous a suggérée, nous la pouvons demander aussi à l’examen détaillé des intérêts matériels ou moraux de la Suède et de tout le Nord. La diète qui vient de terminer récemment ses travaux à Stockholm a réalisé d’utiles réformes; mais il est un certain nombre de mesures libérales dont elle n’a pu conquérir ou dont elle a poursuivi faiblement elle-même l’accomplissement. Ce ne sera pas un travail inutile de rechercher pourquoi les unes ont réussi, pourquoi les autres ont échoué. Cet examen pourra nous révéler des influences qui ne sont pas étrangères à l’inimitié générale de l’Europe contre la Russie, et que la guerre actuelle est appelée à détruire.


A. GEFFROY.